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les couleurs, les sons ? Excluons-le de la noble classe qui après les dieux marche la première ; qu’il aille grossir le troupeau des brutes, l’être qui fait de sa pâture toute sa joie !

La partie irraisonnable de l’âme se divise en deux autres : la première, ardente, ambitieuse, violente, tout entière aux passions ; la seconde, basse, languissante, que la volupté asservit. La partie effrénée, meilleure toutefois que l’autre, et certes plus courageuse et plus digne de l’homme, on n’en a pas tenu compte ; on a cru indispensable au bonheur la partie débile et abjecte. On a voulu lui assujettir la raison ; et le bien du plus généreux des êtres, on en a fait un bien dégradé et ignoble, pétri en outre d’un alliage monstrueux, de membres tout divers et mal concordants ; car, comme dit notre Virgile, parlant de Scylla :

Jusqu’au-dessous du sein son visage, son corps
Représente une vierge aux séduisants dehors ;
Ses flancs offrent aux yeux la louve, la baleine,
Et sa queue en dauphin se recourbe et se traîne
[1].


À cette Scylla du moins sont adaptés des animaux féroces, effroyables, agiles : mais de quels monstres a-t-on composé la sagesse ? La partie supérieure de l’homme, c’est la vertu : elle a pour associée une chair incommode et molle, « qui n’est propre qu’à absorber des aliments, » comme dit Posidonius. Cette vertu divine se termine par de lascifs organes : à cette tête vénérable et céleste est accolé un animal inerte et flétri. Le repos des épicuriens, si profond qu’il soit, ne procurait déjà nul avantage à l’âme, mais il écartait d’elle les embarras : voici venir la volupté qui la dissout, qui en énerve toute la force. Où trouver un assemblage de corps si antipathiques ? La vigueur accouplée à la faiblesse, la frivolité au sérieux, la sainteté même à l’incontinence, à l’inceste !

« Eh quoi ! dit-on, si la bonne santé, et le repos, et l’absence de douleur ne doivent empêcher en rien la vertu, ne les rechercherez-vous pas ? » Pourquoi non ? Je les rechercherai, non qu’elles soient des biens, mais parce qu’elles sont selon la nature et que j’y mettrai du discernement. Qu’y aura-t-il alors de bon en elles ? Rien que le mérite d’un bon choix. Quand je porte un habit décent, quand mon allure, si je marche, est convenable, quand je soupe comme il sied que je le fasse, ce n’est

  1. Énéide, III, 426. Barthélemy.