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le long desquelles il brillait dans nos demeures[1], il a rongé ces crêtes jadis si élevées dont la vue récréait le navigateur ; il a rabaissé les plus hauts postes d’observation au niveau du sol. Quand les créations de la nature sont ainsi maltraitées, ne doit-on pas souffrir avec résignation la destruction des villes ? Rien n’est debout que pour tomber, et la même fin attend hommes et choses, soit qu’une force intérieure, un vent privé d’issue secoue violemment le poids qui le tient captif ; soit que des torrents cachés sous nos pieds le plus fort vienne à briser tout obstacle ; soit que des flammes impétueuses aient crevé la charpente du globe ; soit que la vétusté, que rien ne brave, ait insensiblement tout miné ; soit que l’insalubrité du climat ait chassé les peuples et fait de l’inculte désert un foyer de pestilence. Énumérer toutes les causes de destruction serait chose trop longue. Ce que je sais, c’est que toute œuvre des mortels est condamnée à mourir : nous vivons entourés d’objets périssables.

Voilà entre autres discours les consolations que je présente à notre Libéralis qui brûle d’un incroyable amour pour sa patrie ; et cette patrie peut-être n’a été consumée que pour renaître plus brillante. Souvent le dommage a préparé la place à une situation meilleure : bien des choses sont tombées pour se relever plus grandes et plus belles. Timagène, cet ennemi de la prospérité de Rome, disait : « Si les incendies de cette ville me font peine, c’est que je sais que ses débris ressusciteront en meilleur état qu’auparavant. » Et Lyon aussi, tous vraisemblablement s’empresseront à l’envi de la rétablir plus grande et mieux garantie[2] qu’avant le désastre. Puisse-t-elle être durable, et sous de meilleurs auspices se fonder pour un plus long avenir ! Car cette colonie depuis son origine ne compte que cent ans, ce qui n’est pas, même pour l’homme, le terme le plus reculé. Établie par Plancus, les avantages du lieu l’avaient fait jusqu’ici croître en population, bien que, dans l’espace d’une vie de vieillard, elle eût souffert de très-graves échecs.

Formons notre âme à l’intelligence de son sort et à la résignation ; sachons qu’il n’est rien que n’ose la Fortune ; qu’elle a sur les empires les mêmes droits que sur leurs chefs, qu’elle

  1. Témoin l'incendie de Rome sous Néron.
  2. Néron donna, pour cette reconstruction, environ 1 500 000 francs de notre monnaie. Tacite, Ann. liv. XVI.