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dans leur trajet les inflexions de la voix ; ce ne sont pas les armes, les remparts, la guerre : elle rêve à l’utile, plaide pour la paix, et appelle le genre humain à la concorde. Elle n’est point, non elle n’est point fabricatrice d’outils pour nos vulgaires nécessités.

Quel chétif rôle tu lui assignes ! Vois en elle l’artisan de la vie. Elle a d’autres arts sans doute sous sa dépendance : car celle dont la vie relève tient à ses ordres les ornements de la vie ; du reste c’est au bonheur qu’elle tend, qu’elle nous conduit, qu’elle nous ouvre les voies. Elle montre ce qui est mal, ce qui ne l’est qu’en apparence ; elle nous dépouille de nos illusions, elle donne la solide grandeur ; elle fait justice de la morgue, de tout ce qui est vide et spécieux, ne nous laisse pas ignorer en quoi diffère l’enflure de l’élévation, nous livre enfin la connaissance de toute la nature et d’elle-même. Elle révèle ce que sont les dieux et leurs attributs, les puissances infernales, les Lares, les Génies, les âmes perpétuées sous la forme de dieux secondaires, leur séjour, leur emploi, leur pouvoir, leur volonté. Voilà par quelles initiations elle nous ouvre non la chapelle de quelque municipe, mais l’immense temple de tous les dieux, le ciel même, dont elle a produit les vraies images et les représentations fidèles aux yeux de l’intelligence : car pour de si grands spectacles les yeux du corps sont trop faibles. De là elle revient aux principes des choses, à l’éternelle raison incorporée au grand tout, à cette vertu de tous les germes qui donne à chaque être sa figure propre. Puis elle entre dans l’étude de l’âme, de son origine, de son siège, de sa durée, du nombre de parties qui la composent. Du corporel elle passe à l’incorporel, approfondit la vérité, les arguments qui la prouvent, et après cela comment s’éclaircissent les problèmes de la vie et du langage ; car dans l’une et dans l’autre le faux se mêle au vrai.

Le sage, je le répète, ne s’est point arraché aux arts matériels, comme il semble à Posidonius : il ne les a nullement abordés. Jamais il n’eût cru digne des frais d’invention ce qu’il ne pouvait croire digne de servir à tout jamais : il n’adopterait point pour répudier. « Anacharsis, dit Posidonius, a trouvé la roue du potier, qui en tournant forme des vases. » Ensuite, comme dans Homère se rencontre cette roue du potier, il aime mieux croire les vers apocryphes que son assertion erronée. Je ne prétends pas, moi, qu’Anacharsis soit l’auteur de cette découverte ; ou, s’il l’est, ce sera bien un sage qui l’aura faite,