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terme de notre énoncé est faux : « De ce qu’une chose est bonne, il ne suit pas nécessairement qu’elle rende l’homme bon. Il peut y avoir dans la musique quelque chose de bon comme les cordes, la flûte ou tout autre instrument propre à accompagner le chanteur ; mais rien de tout cela ne fait un musicien. » Nous répliquons qu’ils ne saisissent pas dans quel sens nous prenons ces termes : ce qu’il y a de bon dans la musique. Nous ne parlons pas du bagage d’un musicien, mais de ce qui le fait musicien : eux considèrent le matériel de l’art, au lieu de l’art même. Mais si dans cet art proprement dit il y a quelque chose de bon, c’est là nécessairement ce qui fera le musicien. Tâchons de rendre ceci encore plus clair : le mot bon, en musique, se dit de deux choses, de ce qui sert le musicien comme exécutant, et de ce qui fait l’art accompli. À l’exécution appartiennent les instruments, les flûtes, les cordes : ils ne tiennent point directement à l’art. On est artiste même sans instruments : peut-être ne peut-on pas alors tirer parti de son art. Cette distinction n’a pas lieu dans l’homme : le bien de l’homme est aussi le bien de sa vie.

« Ce que l’homme le plus méprisé, ce que l’infâme peut obtenir n’est pas un bien ; or un prostitueur, un maître d’escrime obtiennent la richesse : elle n’est donc pas un bien. » Proposition fausse, s’écrie-t-on. Car dans les professions de grammairien, de médecin, de pilote, on voit les plus minces individus arriver aux richesses. – Mais ces professions ne se piquent pas de grandeur d’âme, ne portent pas le cœur haut, ne dédaignent pas les dons du hasard. La vertu élève l’homme au-dessus de lui-même, au-dessus des objets les plus chers aux autres mortels : ce qu’ils appellent biens, ce qu’ils appellent maux, n’excite en lui ni désirs passionnés, ni folles craintes. Chélidon, l’un des eunuques de Cléopâtre, posséda un immense patrimoine. Tout récemment Natalis, dont la langue était aussi impure que méchante, dont la bouche recueillait les purgations périodiques des femmes, hérita d’une foule de testateurs et eut lui-même nombre d’héritiers. Eh bien, est-ce la richesse qui l’a souillé, ou lui qui a rendu la richesse immonde ?

L’argent tombe sur certains hommes comme une pièce de monnaie dans un égout. La vertu est plus haut placée que ce vil métal : sa valeur à elle est tout intrinsèque ; aucun de ces profits qui arrivent par bonnes comme par mauvaises voies ne sont à ses yeux des biens. Or la science soit du médecin, soit du pilote, ne défend ni à elle-même ni aux siens l’admiration de