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À LUCILIUS

Je parle du chœur tel que les anciens philosophes l’ont connu. Nos concerts d’aujourd’hui emploient plus de chanteurs que les théâtres autrefois n’avaient de spectateurs. Quand tous les passages sont encombrés de ces chanteurs, que le bas du théâtre est bordé de trompettes, et que de l’avant-scène retentissent les flûtes et les instruments de tout genre, de ces sons divers naît l’accord général9. Tel je veux voir l’esprit : j’y veux force instructions, force préceptes, force exemples de plus d’une époque, et que le tout conspire à une même fin.

« Comment, dis-tu, parvenir à cette fin ? » Par une attention soutenue, et en ne faisant rien que par les conseils de la raison. Consens à l’entendre, elle te dira : « Renonce enfin aux vanités que poursuit l’homme par tant de voies ; renonce aux richesses, péril ou fardeau de qui les possède, renonce aux folles joies du corps et de l’âme : elles amollissent, elles énervent ; renonce à l’ambition, gonflée de vide, de chimères et de vent : elle n’a point de limites, elle n’a pas moins peur de voir quelqu’un devant elle que derrière elle ; deux envies la travaillent : la sienne, puis celle d’autrui ; or juge quelle misère : être envieux et envié ! Jette les yeux sur la demeure des grands, sur ce seuil tumultueusement disputé par ceux qui les courtisent : combien d’humiliations pour entrer, combien plus quand tu es admis ! Laisse là ces escaliers de l’opulence, ces vestibules suspendus sur d’énormes terrasses : tu t’y verrais sur la pente d’un abîme et sur une pente glissante. Viens plutôt par ici, viens à la sagesse : dirige-toi vers sa demeure si tranquille et en même temps si riche de ressources. Tout ce qui paraît bien haut placé parmi les choses humaines, en réalité fort petit, ne s’élève que relativement aux plus humbles objets ; on n’y aborde néanmoins que par de roides et difficiles sentiers. Elle est escarpée, la voie qui mène au faîte des dignités. Mais choisis de monter à cet autre séjour devant lequel la Fortune courbe le front ; tu verras sous tes pieds ce qui passe pour grandeurs suprêmes ; et tu seras venu pourtant par un chemin uni au point qui les domine toutes. »