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Un plan de vie aussi profitable au physique qu’au moral et qu’il faut garder, c’est de n’avoir de complaisance pour le corps que ce qui suffit pour la santé. Il le faut durement traiter, de peur qu’il n’obéisse mal à l’esprit ; le manger doit seulement apaiser la faim, le boire éteindre la soif, le vêtement garantir du froid, le logement abriter contre l’inclémence des saisons. Qu’il soit construit de gazon ou de marbre étranger de nuances diverses, il n’importe : sachez tous qu’on est aussi bien à couvert sous le chaume que sous l’or. Méprisez toutes ces laborieuses superfluités qu’on appelle ornements et décorations : dites-vous bien que dans l’homme rien n’est admirable que l’âme, que pour une âme grande rien n’est grand.

Si je me parle ainsi à moi et à la postérité, ne te semblé-je pas plus utile que si j’allais au forum cautionner quelqu’un sur sa demande, apposer mon sceau sur des tablettes testamentaires, ou dans le sénat appuyer un candidat de la voix et du geste ? Crois-moi : tels qui paraissent ne rien faire font plus que bien d’autres : ils sont ouvriers de la terre et du ciel tout ensemble.

Mais il faut finir et, selon mon engagement, payer pour cette lettre. Ce ne sera pas de mon cru : c’est encore Épicure que je feuillette et où j’ai lu aujourd’hui cette maxime : « Fais-toi l’esclave de la philosophie, pour jouir d’une vraie indépendance21. » Elle n’ajourne pas celui qui se soumet, qui se livre à elle. Il est tout d’abord affranchi ; car l’obéissance à la philosophie c’est la liberté. Peut-être veux-tu savoir pourquoi je cite tant d’heureux emprunts d’Épicure plutôt que des nôtres ? Et pourquoi toi-même les attribuerais-tu à Épicure plutôt qu’au domaine public ? Que de choses, chez les poètes, que les philosophes ont dites ou devaient dire ! Sans toucher aux tragiques ou aux drames romains, car ce dernier genre comporte aussi quelque gravité et tient le milieu entre le comique et le tragique, combien de vers et des plus éloquents dans les mimes où ils sont perdus ! Combien de mots de Publius[1], dignes non de bateleurs déchaussés, mais de tragédiens en cothurne ! Voici un de ses vers qui appartient à la philosophie et au point même touché tout à l’heure : il nie que les dons du hasard doivent être comptés comme à nous :

C’est au sort qu’appartient ce qu’obtinrent tes vœux.
  1. Publius Syrus. Voy. Consol. à Marcia, IX et la note