Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le même résultat85 ? est-il vrai enfin que tout ce que saisit ce courant circulaire est entraîné sous l’eau l’espace de plusieurs milles et ne reparaît que vers la côte de Tauroménium 86? Quand tu m’auras bien marqué tout cela, j’oserai alors te prier de gravir en mon honneur le mont Etna, qui se consume et s’affaisse insensiblement, selon certains raisonneurs, attendu qu’autrefois on le voyait de plus loin en mer. Cela peut provenir, non de ce que la montagne a baissé de hauteur, mais de l’évaporation du feu, moins violent, moins large dans ses éruptions, et qui par là même exhale de jour une fumée plus faible. Au reste il est également croyable qu’une montagne minée journellement par le feu s’amoindrisse et que ce feu diminue, puisqu’il ne procède pas de lui-même, puisqu’il s’engendre dans quelque vallée souterraine d’où il sort en torrent, et qu’enfin il se nourrit d’autres feux et trouve dans la montagne non un aliment, mais un soupirail. Il y a en Lycie une contrée bien connue, que les habitants nomment Héphestion[1] : c’est un sol percé en plusieurs endroits et entouré d’une ceinture de feux inoffensifs qui n’endommagent nullement ses productions : pays fertile, couvert d’herbages, où rien ne souffre de cette flamme amortie et languissante comme la lueur qu’elle donne.

Mais remettons à traiter ces questions après que tu m’auras écrit à quelle distance du cratère de l’Etna se trouvent ces neiges que l’été même ne fond pas, que dis-je ? qui craignent si peu le voisinage du feu volcanique. Toutefois ne me rends pas comptable de toute cette peine, ta passion pour les vers gagnerait sur toi, quand nul ne t’en viendrait prier, de compléter ta description de l’Etna, car ta modestie ne t’empêche pas d’aborder ce texte favori de tous les poètes. Ovide l’a traité sans être découragé par Virgile qui l’avait si heureusement fait[2], et enfin Sévérus Cornélius87 n’en fut pas détourné par ces deux grands noms. Le sujet d’ailleurs a été fécond pour tous ; et les premiers venus n’ont pas épuisé, ce me semble, ce qu’on pouvait en dire : ils ont ouvert la mine. Il y a bien de la différence entre une matière épuisée et celle qu’on attaque déjà exploitée par d’autres : chaque jour elle se montre plus riche, et les anciennes découvertes ne font point obstacle aux nouvelles. Et puis l’avantage est pour le dernier venu : il trouve des mots tout prêts qui, différemment mis en

  1. Fait rapporté aussi par Pline, Hist. nat., V, XXVII.
  2. Énéid., III,V. 203.