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faiblisse pour d’autres ; elle méprise la mort, et la douleur l’épouvante.

Une réflexion sur cette dernière classe : estimons-nous bien partagés, si nous y sommes admis. Il faut une riche et heureuse nature, un grand et assidu dévouement à l’étude pour occuper le second rang : mais la troisième nuance n’est pas non plus à dédaigner. Songe et regarde combien d’iniquités t’environnent ; vois s’il est un seul attentat sans exemple ; quels progrès fait chaque jour le génie du mal ; que de méfaits politiques et privés ; tu sentiras que pour nous c’est assez faire que de ne pas être parmi les plus corrompus. « Mais j’espère, moi, pouvoir aussi m’élever plus haut. » Je le souhaiterais pour nous plutôt que je ne le promettrais. Le mal en nous a pris l’avance ; nous marchons à la vertu, empêtrés de mille vices ; j’ai honte de le dire : nous cultivons l’honnête à nos moments perdus. Mais quel magnifique salaire nous est réservé, si nous rompons nos empêchements, nos mauvaises tendances si tenaces ! Ni cupidité, ni crainte ne nous feront plus reculer ; inébranlables à toutes les alarmes, incorruptibles aux voluptés, nous n’aurons point horreur de la mort, non plus que des dieux ; nous saurons que ni la mort n’est un mal, ni les dieux ne sont méchants. Il y a autant de faiblesse dans l’être qui fait souffrir que dans celui qui71 souffre : aux êtres bons par excellence le pouvoir de nuire manque. Quel trésor nous attend si, quelque jour, de cette fange nous nous élevons à la hauteur sublime du sage, à cette tranquillité d’âme et, toute erreur bannie, à l’absolue indépendance ! « Cette indépendance, quelle est-elle ? » Ne craindre ni les hommes ni les dieux, ne vouloir rien de honteux, rien d’immodéré, exercer sans limites la royauté de soi-même. Inestimable bien que celui de s’appartenir !