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belles choses que celles que tu quitteras. Frapper aux portes orgueilleuses des grands, tenir registre des vieillards sans héritiers, avoir grand crédit sur la place, sont des avantages en butte à l’envie, éphémères, et, à vrai dire, ignobles. Tel l’emporte beaucoup sur moi par son influence sur les juges, tel autre par son temps de service militaire et le haut rang qu’il lui a valu, un autre par la foule de ses clients. Cette foule, que je ne puis avoir, lui donne plus de crédit. Est-ce un grand mal que les hommes triomphent de moi, si à ce prix je triomphe de la Fortune ? Plût aux dieux que cette détermination eût été de bonne heure embrassée par toi, et que ce ne fût pas en présence de la mort que nous songeassions à vivre heureusement ! Aujourd’hui même tarderons-nous encore ? Car que de choses sur la frivolité, sur le danger desquelles la raison devait nous convaincre et que l’expérience nous dévoile maintenant ! Faisons comme ceux qui quittent les derniers la barrière et qui forcent de vitesse pour regagner le temps perdu : que l’éperon redouble ses coups. Nous sommes dans l’âge qui se prête le mieux aux études de la sagesse ; la vie a jeté son écume, les passions indomptées d’une ardente jeunesse sont bien amorties ; peu s’en faut qu’elles ne soient éteintes. « Mais ce que tu apprends au moment du départ, quand te servira-t-il et à quoi ? » À partir meilleur ! Au reste, n’en doute pas, aucun âge n’est plus propre à la sagesse que celui où des épreuves multipliées et de longues et fréquentes souffrances ont dompté la nature et qui arrive aux salutaires pratiques par l’épuisement des passions. Cette heureuse saison est la nôtre : quiconque dans la vieillesse est parvenu à être sage le doit à ses années.


LETTRE LXIX.

Que les fréquents voyages sont un obstacle à la sagesse.

Je n’aime pas à te voir changer de lieux et voltiger de l’un à l’autre. D’abord de si fréquentes migrations sont la marque d’un esprit peu stable. La retraite ne lui donnera de consistance que s’il cesse d’égarer au loin ses vues et ses pensées. Pour contenir l’esprit, commence par fixer le corps, autre fugitif ; et