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trer tous les secrets. Le mieux est donc de ne pas faire sonner trop haut sa retraite, or c’est le faire en quelque sorte que de se trop celer, de s’exiler trop loin de la vue des hommes. L’un s’est confiné à Tarente ; l’autre s’est enterré à Naples ; celui-ci depuis longues années n’a point passé le seuil de sa porte. C’est convoquer la foule autour de sa retraite que d’en faire le texte d’une histoire quelconque.

Une fois dans la solitude, il ne faut point tâcher que52 le monde s’entretienne de toi ; il faut t’entretenir avec ta conscience. Et de quoi ? De ce qu’on répète si volontiers sur le compte des autres, du mal que tu dois penser de toi-même ; tu en prendras l’habitude et de dire la vérité et de l’entendre. Mais soigne surtout la partie que tu sentiras en toi la plus faible. Chacun connaît ses infirmités corporelles ; ainsi tel soulage son estomac par le vomissement, tel autre le soutient par une fréquente nourriture ; un troisième coupe son régime par la diète qui débarrasse et purge son corps. Ceux qui sont sujets à la goutte s’abstiennent soit de vin soit de bains : insouciants sur tout le reste, ils ne songent qu’au mal qui les attaque habituellement. Notre âme aussi a des parties malades auxquelles doivent s’appliquer nos soins. Que fais-je dans ma retraite ? Je panse mon ulcère. Si je te montrais un pied gonflé, une main livide, ou une jambe raccourcie par le dessèchement des nerfs, tu me permettrais de rester en place et de tout mettre en œuvre pour me guérir : j’ai un mal plus grand que tout cela, mais je ne puis te le montrer. C’est dans mon âme qu’est le gonflement, la masse d’humeurs, l’abcès impur. Ne va pas me louer, ne va pas dire : « Ô le grand homme ! Il a tout dédaigné, il a condamné les folies de la vie humaine, il a tout fui. » Je n’ai rien condamné que moi. Ce n’est pas à moi qu’il faut vouloir venir pour profiter à mon exemple. Tu te trompes, si tu comptes tirer d’ici quelque secours : ce n’est pas un médecin, c’est un malade qui y demeure. J’aime mieux qu’en me quittant tu dises : « Je croyais cet homme riche de bonheur et de science, j’avais soif de l’entendre ; je suis déchu de mon espoir, je n’ai rien vu, rien entendu qui piquât ma curiosité, qui m’invitât à revenir. » Si tel est ton sentiment, ton langage, tu auras gagné à me voir. J’aime mieux que ma retraite excite ta compassion que ton envie.

« La retraite ! diras-tu ; toi, Sénèque, tu me la conseilles ! Tu te laisses aller aux phrases d’Épicure ! » Oui, je te prêche le repos ; mais un repos où tu fasses de plus grandes et de plus