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contrent; car être criblé de blessures, et fondre dans les flammes d’un bûcher et se voir terrassé par la maladie, tout cela est contre nature ; mais conserver en cet état une âme indomptable, voilà ce que la nature avoue. Et pour résumer brièvement ma pensée, l’élément du bien est quelquefois contre nature, le bien ne l’est jamais, parce qu’il n’est aucun bien sans la raison et que la raison suit la nature. Qu’est-ce en effet que la raison ? L’imitation de la nature. Et le souverain bien ? Une conduite conforme au vœu de la nature.

« Il n’est pas douteux, dira-t-on, qu’on ne doive préférer une paix que nul ennemi ne trouble à une paix reconquise par des flots de sang, une santé jamais altérée à celle qui n’est revenue de graves maladies et des portes du trépas que de haute lutte, pour ainsi dire, et à grand renfort de patience. Sans doute aussi ce sera un plus grand bien de se réjouir que d’avoir à roidir son âme pour supporter les déchirements du fer ou de la flamme. » Point du tout. Car les choses fortuites seules comportent de grandes différences et s’apprécient par l’utilité qu’en tirent ceux qui les reçoivent. Le principe des vrais biens est de se conformer à la nature, condition que tous remplissent également. Quand le sénat suit l’opinion d’un de ses membres, on ne peut dire : « Celui-ci adhère plus pleinement que celui-là ; » tous se réunissent dans le même avis. Ainsi des vertus : toutes adhèrent aux vues de la nature ; ainsi des biens : tous sont conformes à cette même nature. Tel sera mort adolescent, tel autre, vieux ; tel autre, encore en bas âge, aura pour toute grâce entrevu la vie ; tous ont été mortels au même degré, bien que le sort ait laissé le vieillard prolonger sa carrière, qu’il ait moissonné le jeune homme en pleine fleur, et arrêté l’enfant dès ses premiers pas. On voit des gens que la vie abandonne au milieu d’un repas, ou chez qui la mort est la continuation du sommeil, ou qui s’éteignent dans les embrassements d’une maîtresse. Mettez en regard ceux qui ont péri par le fer ou par la morsure d’un serpent, ou écrasés par une chute d’édifice, ou que de longues contractions de nerfs ont torturés en détail, on peut dire que les uns ont fini mieux, les autres plus mal ; mais ç’a toujours été la mort. Elle vient par des chemins divers qui tous aboutissent au même terme. Jamais de plus ou de moins en elle ; elle a pour tous sa commune règle : mettre fin à la vie. J’en dis autant des biens : l’un habite au milieu de plaisirs sans mélange, l’autre dans la détresse et l’amertume ; celui-ci modère la prospérité, celui-là dompte les rigueurs du sort ; tous