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par conséquent l’une égale l’autre. Telle qu’est la raison, telles sont ses œuvres, toutes logiquement égales : semblables à leur mère, elles doivent se ressembler entre elles. Je dis qu’entre elles ces œuvres sont égales, parce qu’elles sont droites et honnêtes. Du reste elles différeront beaucoup, selon la diversité de la matière, qui tantôt est plus ample, tantôt plus restreinte ; tantôt illustre, tantôt sans éclat ; qui concerne ici une foule d’hommes, là-bas un petit nombre ; dans tous les cas néanmoins l’excellence de l’acte est la même : c’est toujours l’honnête. Ainsi les hommes vertueux le sont tous au même point, en tant que vertueux ; mais il y a des différences d’âge : l’un est plus vieux, l’autre est plus jeune ; des différences physiques : l’un est beau, l’autre laid ; des différences de fortune : l’un est riche, l’autre pauvre ; l’un a du crédit, du pouvoir, il est connu des villes et des peuples ; l’autre est obscur et le monde ne le connaît pas. Mais, par cela qu’il sont vertueux, ils sont égaux.

Les sens ne sont point juges des biens ni des maux : l’utile, le nuisible, ils l’ignorent. Ils ne peuvent prononcer qu’en face des objets, sans prévoyance de l’avenir, sans mémoire du passé, ils ne savent point les conséquences des choses. Or c’est de tout cela que se forme la trame et la série des événements et l’unité d’une vie régulière dans sa marche. C’est donc la raison qui est l’arbitre des biens et des maux, qui tient pour vil l’extérieur et tout ce qui n’est pas elle, et qui regarde les accidents qui ne sont ni biens ni maux comme de minimes et très-légers accessoires : tout bien pour elle réside dans l’âme. Seulement il est des biens auxquels elle donne le premier rang et qu’elle aspire à obtenir, comme la victoire, de dignes enfants, le salut de la patrie ; puis des biens de second ordre qui ne se manifestent que dans les circonstances critiques, comme la résignation dans une maladie grave ou l’exil ; il y a des biens intermédiaires qui ne sont absolument ni conformes ni contraires à la nature, comme de marcher posément ou d’être décemment assis. Car il n’est pas moins selon la nature d’être assis que debout ou que de marcher. Les deux premières classes de biens sont de genre opposé ; vu qu’il est selon la nature de jouir de la tendresse de ses enfants, du bien-être de sa patrie, et qu’il est contre la nature de résister avec courage aux tourments et d’endurer la soif quand la fièvre brûle nos entrailles. « Eh quoi ! y aurait-il des biens contre nature ? » Non sans doute : mais il est des situations contre nature où ces biens-là se ren-