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LETTRE LXIV.

Éloge du philosophe Q. Sextius. Respect dû aux anciens, instituteurs de l’humanité.

Tu étais hier avec nous. Tu pourrais te plaindre si ce n’avait été qu’hier ; aussi ajouté-je : avec nous ; car avec moi, tu y es toujours. Il m’était survenu de ces amis pour lesquels on fait plus grande fumée, non pas celle que vomissent les cuisines de nos gourmands et qui donne l’alarme aux gardes de nuit ; c’était cette fumée, modeste encore, qui révèle la venue de quelques hôtes. La conversation fut variée, comme est celle d’un repas, sans mener à fin aucun sujet, mais sautant d’une chose à une autre. On lut ensuite un ouvrage de Q. Sextius[1] le père, homme supérieur, si tu m’en crois, et, bien qu’il le nie, stoïcien. Bons Dieux ! que de vigueur, que d’âme ! On ne trouve pas cela chez tous les philosophes. Combien dont les écrits n’ont d’imposant que le titre et sont des corps vides de sang ! Ils dogmatisent, ils disputent, ils chicanent : ils n’élèvent point l’âme, car ils n’en ont pas. Lis Sextius, et tu diras : « Voilà de la vie, du feu, de l’indépendance, voilà plus qu’un homme, il me laisse plein d’une foi sans bornes. » En quelque situation d’esprit que je sois, quand je le lis, je te l’avouerai, je défierais tous les hasards et je m’écrierais volontiers : « Que tardes-tu, ô Fortune ? viens sur l’arène ! Tu me vois prêt. » Je sens en moi l’ardeur de cet Ascagne qui cherche où s’essayer, où faire preuve d’intrépidité, qui souhaiterait

Qu’au lieu de faibles daims un sanglier sauvage,
Un lion rugissant provoquât son courage[2].


Je voudrais avoir quelque chose à vaincre, de quoi m’exercer à la souffrance. Car Sextius a aussi ce mérite, qu’il vous montre la grandeur de la souveraine félicité sans vous ôter l’espoir d’y atteindre. Il vous apprend qu’elle est placée haut, mais accessible à l’homme résolu. C’est le sentiment qu’inspire aussi

  1. Voir Lettre LIX et Quest. natur., VII, chap dernier.
  2. Énéid., IV, 458.