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quand on entend dire le poëte. Mais quel est l’être par excellence ? Dieu : car il est plus grand et plus puissant que tous les autres. Le troisième genre est celui des êtres qui proprement existent : ils sont sans nombre, mais placés hors de notre vue. « Mais quels sont-ils ? » demandes-tu. Une création due à Platon : il appelle idées ce par quoi se fait tout ce que nous voyons et selon quoi tout se façonne. Elles sont immortelles, immutables, hors de toute atteinte. Écoute ce que c’est que l’idée ou ce qu’il en semble à Platon. « L’idée est le type éternel des œuvres de la nature. » Joignons le commentaire à la définition, pour te rendre la chose plus claire. Je veux faire ton portrait : je t’ai pour modèle de ma peinture, et de ce modèle mon esprit recueille un ensemble de traits qu’il imprime à son ouvrage. Ainsi cette figure qui me guide et m’inspire et d’où j’emprunte mon imitation, est une idée. La nature possède donc à l’infini ces sortes de types, hommes, poissons, arbres, d’après lesquels se forme tout ce qui doit naître d’elle. En quatrième lieu vient l’eidos. Qu’est-ce que l’eidos ? Il faut ici toute ton attention, il faut t’en prendre à Platon, non à moi de la difficulté de la chose ; car point d’abstractions sans difficulté. Tout à l’heure je prenais le peintre pour comparaison ; s’il voulait avec ses couleurs représenter Virgile, il l’avait sous les yeux : l’idée était cette figure de Virgile modèle du futur tableau ; ce que l’artiste tire de cette figure, ce qu’il applique sur sa toile est l’eidos. « Où est la différence ? » dis-tu. L’un est le modèle, l’autre, la forme prise du modèle et transportée sur la copie. L’artiste imite l’un, l’autre est son ouvrage. Une statue, c’est une certaine figure, c’est l’eidos. Le modèle aussi est une figure qu’avait en vue le statuaire en donnant une forme à son œuvre, savoir l’idée. Veux-tu encore une autre distinction ? L’eidos est dans l’œuvre, l’idée en dehors de l’œuvre, et non-seulement en dehors, mais préexistante. Le cinquième genre comprend les êtres qui existent communément, et ceci commence à nous concerner : là se trouve tout ce qui peuple le monde, hommes, animaux et choses. Le sixième genre désigne ce qui n’a qu’une quasi-existence, comme le vide, le temps.

Tout ce qui se voit et se touche, Platon l’exclut du rang des êtres qu’il juge avoir une existence propre. Car tout cela passe et va sans cesse du plus au moins, du moins au plus. Nul de nous n’est sur ses vieux ans ce qu’il était dans sa jeunesse ; nul n’est au matin ce qu’il fut la veille. Nous sommes emportés loin de nous, comme le fleuve loin de sa source ; tout ce que tu vois