Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.
3
À LUCILIUS


comme de changer sans cesse de remèdes ; on n’arrive point à cicatriser une plaie où les appareils ne sont qu’essayés. On ne fortifie pas un arbuste par de fréquentes transplantations. Il n’est chose si utile qui puisse l’être en passant. La multitude des livres dissipe l’esprit. Ainsi, ne pouvant lire tous ceux que tu aurais, c’est assez d’avoir ceux que tu peux lire. « Mais j’aime à feuilleter tantôt l’un, tantôt l’autre. » C’est le fait d’un estomac affadi, de ne goûter qu’un peu de tout : ces aliments divers et qui se combattent l’encrassent ; ils ne nourrissent point. Lis donc habituellement les livres les plus estimés ; et si parfois tu en prends d’autres, comme distraction, par fantaisie, reviens vite aux premiers. Fais chaque jour provision de quelque arme contre la pauvreté, contre la mort, contre tous les autres fléaux ; et de plusieurs pages parcourues, choisis une pensée pour la bien digérer ce jour-là. C’est aussi ce que je fais : dans la foule des choses que j’ai lues, je m’empare d’un trait unique. Voici mon butin d’aujourd’hui, c’est chez Épicure que je l’ai trouvé ; car j’ai coutume aussi de mettre le pied dans le camp ennemi, non comme transfuge, mais comme éclaireur : « La belle chose, s’écrie-t-il, que le contentement dans la pauvreté ! » Mais il n’y a plus pauvreté, s’il y a contentement4. Ce n’est point d’avoir peu, c’est de désirer plus, qu’on est pauvre5. Qu’importe combien cet homme a dans ses coffres, combien dans ses greniers, ce qu’il engraisse de troupeaux, ce qu’il touche d’intérêts, s’il dévore en espoir le bien d’autrui, s’il suppute non ce qu’il a acquis, mais ce qu’il voudrait acquérir ! « Quelle est la mesure de la richesse ? » diras-tu. D’abord le nécessaire, ensuite ce dont on se contente.


LETTRE III.

Du choix des amis.

Tu as chargé de lettres pour moi, à ce que tu m’écris, un de tes amis. Puis tu me préviens de ne pas lui communiquer tout ce qui te touche, attendu que toi-même n’es point dans l’habitude de le faire. Ainsi, dans la même lettre, tu le reconnais pour ami et tu le désavoues. Ainsi ce mot, par où tu débutes, était une