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rempli de portraits enfumés ne fait pas la noblesse. Nul n’a vécu pour notre gloire, et ce qui fut avant nous n’est pas à nous7. C’est l’âme qui anoblit ; elle peut de toutes les conditions s’élever plus haut que la Fortune. Suppose-toi, non pas chevalier romain, mais affranchi, tu peux un jour être seul libre de fait parmi tant d’hommes libres de race. « Comment cela ? » diras-tu. En n’adoptant pas la distinction populaire des biens et des maux. Informe-toi non d’où viennent les choses, mais où elles aboutissent. S’il en est une qui puisse donner le bonheur, elle est bonne par essence, car elle ne peut dégénérer en mal. Quelle est donc la cause de tant de méprises, quand la vie heureuse est le vœu de tous ? C’est qu’on prend les moyens pour la fin, et qu’en voulant l’atteindre on s’en éloigne. Tandis qu’en effet la perfection du bonheur consiste dans une ferme sécurité et dans l’inébranlable foi qu’il nous restera, on se cherche au loin des causes de soucis, et sur cette route perfide de la vie, on porte ses embarras bien moins qu’on ne les traîne. Aussi s’écarte-t-on toujours davantage du but poursuivi ; plus on s’épuise en efforts, plus on reste empêtré, ou rejeté en arrière. Ainsi l’homme qui dans un labyrinthe presse le pas se fourvoie en raison de sa vitesse même.


LETTRE XLV.

Sur les subtilités de l’école.

Tu te plains de la disette des livres en Sicile. L’important n’est pas d’en avoir beaucoup, mais d’en avoir de bons. Une lecture sagement circonscrite profitera ; variée, elle amuse. Qui veut arriver à un but précis doit aller par un seul chemin, et non vaguer de l’un à l’autre, ce qui n’est pas avancer, mais errer. « J’aimerais mieux, diras-tu, des livres que des conseils. » Oh ! en vérité, tous ceux que je possède, je suis prêt à te les envoyer, à vider tout mon grenier, à me transporter moi-même, si je le pouvais, près de toi, et, n’était l’espoir que tu obtiendras de bonne heure de cesser tes fonctions, c’est une expédition que j’eusse imposée à ma vieillesse : ni Charybde, ni Scylla, ni ce détroit maudit par la Fable ne m’auraient fait