Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
DE LA COLÈRE, LIVRE II.

faiblesse rapproche de l’enfance. Toutes leurs fautes, auprès d’un juge équitable, deviennent innocentes par l’absence de discernement.

Il est des êtres qui, impuissants pour nuire, n’ont jamais qu’une action bienfaisante et salutaire ; tels sont les dieux immortels qui ne peuvent ni ne veulent le mal. Leur nature est douce et pacifique, aussi éloignée de faire l’injure que de la recevoir. Les insensés et les ignorants leur imputent les tempêtes de la mer, les pluies excessives, les hivers persistants, tandis que nul de ces phénomènes, heureux ou funestes, ne s’opère directement en vue de l’homme. Ce n’est point pour nous qu’a lieu dans le monde le retour périodique de l’hiver et de l’été ; tout s’exécute d’après les lois qui gouvernent les choses célestes. C’est trop présumer de soi que de se croire digne d’être l’objet de ces grands mouvements(24). Non, rien de tout cela ne se fait contre nous ; bien au contraire, tout cela concourt à notre conservation.

Nous avons dit que la puissance de nuire manque à certains êtres, que d’autres n’en ont pas la volonté. Parmi ceux-ci seront les bons magistrats, les pères, les instituteurs, les juges, dont il faut recevoir les châtiments comme on subit le scalpel, la diète et toute autre rigueur salutaire. Sommes-nous punis ? songeons non pas à la punition seule, mais à ce que nous avons fait : ouvrons un interrogatoire sur notre conduite ; si nous voulons nous dire la vérité, nous jugerons la réparation inférieure au délit. Si nous voulons apprécier justement toutes choses, persuadons-nous bien d’abord que nul de nous n’est sans reproche. Car voici d’où viennent nos indignations les plus vives : « Je n’ai point failli ; je n’ai rien fait, » disons-nous ; c’est-à-dire que nous ne convenons de rien. Toute réprimande, toute correction nous exaspère ; et alors même à nos premières fautes nous ajoutons, nouveaux méfaits, l’orgueil et la rébellion. Quel est celui qui ose dire qu’il n’a failli contre aucune loi ? Quand il dirait vrai, quelle étroite vertu qu’une vertu légale ! Combien plus loin s’étend la règle du devoir que celle du droit ? Que de choses la piété, l’humanité, la bienfaisance, la justice et l’honneur exigent, dont nulle n’est gravée aux tables de la loi !

XXVIII. Mais cette formule si restreinte de vertu, nous ne pouvons même la remplir. Nous avons tous ou fait ou médité le mal, nous l’avons souhaité ou favorisé ; et souvent, si nous ne fûmes point coupables, c’est pour n’avoir pu réussir à l’être.