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DE LA COLÈRE, LIVRE I.


couvrir nos fastes d’un seul nom, répartir ses titres sur le monde entier. Peu importe à quel point toutes ces passions se développent et s’étendent : elles sont toujours étroites, misérables et basses. La vertu seule est élevée, sublime ; et il n’y a de grand que ce qui en même temps est calme.



LIVRE II.

I. Mon premier livre, Novatus, offrait une tâche engageante : on est porté comme sur une pente facile à parcourir les tableaux du vice ; maintenant des questions plus subtiles m’appellent. Il faut chercher si la colère vient d’un libre choix ou d’entraînement, c’est-à-dire si elle s’émeut spontanément, ou s’il en est d’elle comme de tout transport qui s’élève en nous à notre insu, Voilà où doit descendre la discussion pour remonter ensuite plus haut. Ainsi, dans la formation du corps humain, les os, les nerfs, les articulations, charpente de tout l’édifice, et les viscères, si peu agréables à voir, se coordonnent avant le reste ; vient ensuite ce qui fait les charmes de la figure et de l’extérieur ; et enfin, quand l’œuvre est complète, la nature y jette comme dernier coup de pinceau ce coloris qui plaît tant aux yeux. Que l’apparence de l’injure soulève la colère, nul doute ; mais suit-elle soudain cette apparence ; s’élance-t-elle sans que l’âme y acquiesce, ou lui faut-il pour se mouvoir l’assentiment de l’âme, voilà ce que nous cherchons. Nous tenons, nous, que la colère n’ose rien par elle-même et sans l’approbation de l’âme. Car saisir l’apparence d’une injure et en désirer la vengeance ; faire la double réflexion qu’on ne devait pas être offensé et qu’on doit punir l’offenseur, cela ne tient pas au mouvement physique qui devance en nous la volonté. Le mouvement physique est simple, celui de l’âme est complexe et offre plus d’un élément. On a compris quelque chose, on s’indigne, on condamne, on se venge : tout cela ne peut se faire si l’âme ne s’associe à l’impression des sens.

II. « À quoi, dis-tu, tend cette question ? » À bien connaître la colère. Car si elle naît malgré nous, jamais la raison ne la surmontera. Tout mouvement non volontaire est irrésistible,