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DES BIENFAITS, LIVRE VII.

dre, ni pour la louer, ni pour y être à demeure : c’est à la seule fin d’y voir le spectacle. Je ne mentirai donc pas si je dis que j’ai ma place sur ces bancs ; mais si je viens au théâtre et qu’ils soient tous remplis, j’ai là ma place de droit, puisqu’il m’est permis de m’y asseoir, et je ne l’ai pas, puisque ceux qui jouissent du même droit que moi les occupent toutes. Sache qu’il en est de même entre amis. Tout ce que possède mon ami nous est commun à tous deux, mais reste propre au détenteur : en disposer sans son aveu m’est interdit. « Vous vous moquez, dira-t-on ; si les biens de mon ami sont à moi, je pourrai les vendre. » Non, pas plus que les places de chevaliers, bien qu’elles vous soient communes avec les autres chevaliers. Ne concluez pas qu’une chose n’est point à vous de ce que vous ne pouvez ni la vendre, ni la consommer, ni la détériorer ou l’améliorer. Cette chose est vôtre, bien qu’elle ne soit vôtre qu’avec restriction. Vous avez reçu, mais tous ont reçu au même titre.

XIII. Disons, pour ne pas te faire trop languir : le bienfait ne saurait croître en grandeur, mais les circonstances du bienfait peuvent grandir, se multiplier et offrir un champ plus vaste aux effusions d’une libéralité qui suive son penchant comme les amants s’abandonnent au leur : ceux-ci, par de nombreux baisers, par d’étroits embrassements, n’augmentent pas leur tendresse, mais lui donnent carrière.

La question qui vient ensuite a été aussi traitée à fond dans les premiers livres : je l’effleurerai donc brièvement, car on y peut rattacher tous les arguments présentés ailleurs. La voici : Celui qui a tout fait pour payer sa dette l’a-t-il payée ? La preuve, dit-on, qu’il n’a pas payé, c’est qu’il a tout fait sans y réussir. Évidemment donc la chose n’a point eu lieu, dès que l’occasion a manqué. Et le débiteur n’a point remboursé quand, pour y parvenir, il a partout cherché sans trouver sa somme. Il est des choses de nature telle qu’elles doivent se résoudre en effets ; il en est d’autres où l’on répute pour effets d’avoir tout tenté pour effectuer. Si le médecin, pour me guérir, a épuisé les ressources de l’art, toute sa tâche est remplie ; son client eût-il succombé, l’orateur a toujours le mérite de l’éloquence qu’il a déployée, s’il a fait valoir tous les moyens de droit ; la gloire ne couronne pas moins le général malheureux à la guerre, si d’ailleurs sa prudence, ses talents, sa valeur ont répondu à ce qu’on attendait de lui17. L’obligé a tout fait pour te rendre : ta prospérité l’en a empêché. Aucune disgrâce ne t’est survenue