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DES BIENFAITS, LIVRE VII.

LIVRE VII.

I. Bon courage, cher Libéralis,

Enfin nous prenons terre : ici plus de longueurs,
De détours fatigants, d’importunes lenteurs[1].


Ce livre-ci rassemble les restes d’une matière épuisée, et j’avise à découvrir non ce que je dois dire, mais ce que je n’ai pas dit. Prends toutefois tout ce reliquat en bonne part, puisque c’est pour toi qu’il y a reliquat. Si je n’avais eu qu’un but d’amour-propre, l’intérêt de mon œuvre eût dû croître graduellement, et j’eusse ménagé pour la fin de quoi réveiller même un appétit satisfait. Mais j’ai accumulé tout le plus essentiel sur le commencement : maintenant je glane ce qui a pu m’échapper. Et franchement, si tu me demandes mon avis, je ne crois pas qu’il importe fort, les points qui règlent la morale une fois traités, de s’attacher à d’autres questions imaginées non comme remèdes de l’âme, mais comme exercices de l’esprit. Car, ainsi que le dit si bien Démétrius[2] le cynique, grand homme à mon avis, même si on le compare aux plus grands : « Il est plus utile de ne posséder qu’un petit nombre de sages préceptes, pourvu qu’on les tienne à sa portée et à son usage, que d’en avoir étudié mille qu’on n’a plus sous la main[3]. Le bon lutteur, dit-il, n’est pas celui qui sait à fond toute la théorie des temps et enlacements dont l’application est rare sur l’arène ; c’est celui qui, après s’être longtemps et soigneusement exercé dans une ou deux positions, épie attentivement l’instant de les saisir : qu’importe en effet qu’il sache beaucoup, s’il sait tout ce qu’il faut pour vaincre1 ? De même, dans la philosophie, pour une foule de choses qui amusent, peu frappent au but. » Il est permis d’ignorer la cause qui fait déborder, puis refluer l’Océan ; pourquoi chaque septième année d’âge marque

  1. Virg., Géorg., II, 45.
  2. Voy. sur Démétrius, De la Providence, iii, Lettre cxiv, et plus bas, ch. viii.
  3. (c) Voy. De la vie heureuse, XVIII, et Lettre XX.