de prendre certaines villes pour les sauver, et de vaincre pour faire grâce. Ce n’en sont pas moins des souhaits hostiles, que ceux où la part de l’indulgence n’arrive qu’après les rigueurs. Enfin que penses-tu que soient des vœux dont nul ne désire moins le succès que celui pour qui tu les formes ? Cruel envers l’homme que tu veux voir maltraité par les dieux et secouru par toi, tu es inique envers les dieux mêmes. Tu les charges du rôle de persécuteurs, et prends celui de sauveur pour toi : tu feras le bien, et les dieux le mal ! Si tu me suscitais un accusateur pour l’écarter plus tard, si tu m’impliquais dans quelque procès qu’ensuite tu ferais évanouir, nul ne douterait de ta perversité. Or qu’importe que la chose soit tentée par fraude ou sous forme de vœu ? Seulement tu me cherches ici de plus puissants adversaires. Ne viens pas dire : « Quel tort te fais-je donc ? » Ton vœu devient ou inutile ou dommageable : et il est dommageable encore, quand même il serait inutile. Si tu ne me fais pas tort, c’est grâce aux dieux ; mais il y a tort dans tout ce que tu souhaites. Cela suffit ; je dois t’en vouloir comme si tout le mal était fait.
XXVIII. « Si mon vœu, vas-tu dire, eût été exaucé, il l’eût été aussi pour ton salut. » Mais d’abord tu me souhaites un péril certain, sauf ton secours qui ne l’est pas ; et l’un et l’autre fussent-ils infaillibles, le dommage sera venu le premier. Et puis tu savais, toi, la condition de ton vœu ; mais moi, d’abord emporté par l’orage, ni port ni secours ne m’étaient promis. Quel tourment n’était-ce pas d’avoir eu besoin de secours, même si j’en obtiens ; d’avoir tremblé, même si l’on me sauve ; d’avoir dû plaider, même si l’on m’absout ! Le terme de nos craintes n’est jamais tellement doux qu’on ne juge plus douce encore une complète et inébranlable sécurité. Souhaite de pouvoir me rendre mon bienfait au besoin, mais non pas que ce besoin arrive. S’il n’eût tenu qu’à toi, le mal que tu invoques, tu l’eusses fait toi-même.
XXIX. Qu’il serait plus noble de dire : » Puisse mon bienfaiteur être toujours en état de distribuer des grâces, et ne jamais en avoir besoin ! Que l’abondance ne cesse de le suivre, lui qui l’emploie si généreusement en largesses et en bons offices, et qu’il n’éprouve en aucun temps l’impuissance de donner, ni le repentir de ses dons ! Que ce caractère, déjà si porté aux sentiments humains, à la pitié, à la clémence, soit encore excité, provoqué par la foule des âmes reconnaissantes ; qu’assez heureux pour les rencontrer il ne soit pas forcé de les