consiste à rendre non le même objet, mais l'équivalent. Ne dit-on pas d’un débiteur : « Il a rendu l’argent, » quoiqu’au lieu d’argent il ait compté de l’or, ou encore, que, sans verser du comptant, une délégation en bons termes ait parfait l’acquittement ?
Il me semble t’entendre dire : « Tu perds ta peine. Que m’importe de savoir si ce que je ne dois plus subsiste encore ? Ce sont d’ineptes pointilleries de jurisconsultes qui disent que l’hérédité ne peut s’acquérir par usucapion, mais seulement les biens de l’hérédité, comme si celle-ci était autre chose que les biens qui la constituent. Ëtablis-moi plutôt cette distinction qui peut être utile : quand le même homme qui m’a obligé m’a par la suite fait une injure, dois-je lui rendre son bienfait et néanmoins me venger de lui, satisfaisant pour ainsi dire à deux engagements distincts, ou confondre l’un dans l’autre, sans m’inquiéter nullement que l’injure couvre le bienfait ou le bienfait l’injure ? Car voici la pratique du barreau ; quant au droit reçu dans votre école, ce sont mystères qui vous sont propres. On sépare les actions, et le même titre dont je me prévaux on s’en prévaut contre moi. Il n’y a point confusion d’instances : si un homme m’a confié un dépôt d’argent et qu’ensuite il m’ait volé, je le poursuivrai pour le vol ; lui m’actionnera comme dépositaire. »
VI. Les cas cités par toi, cher Libéralis, sont déterminés par des lois spéciales qu’il faut suivre, et l’une ne rentre pas dans l’autre. Chacune a ses errements : le dépôt a son action propre tout de même certes que le vol. Mais le bienfait n’est soumis à aucune loi : il n’a que moi pour arbitre. Il m’appartient de peser les bons offices et les torts de chacun envers moi, puis de prononcer s’il m’est dû plus que je ne dois. En matière légale rien ne dépend de nous : il faut suivre où l’on nous mène. En matière de bienfait l’autorité est toute en moi ; et ici je décide sans séparer, sans disjoindre : injures comme bienfaits, je renvoie tout au même juge. Autrement, c’est vouloir qu’en même temps j’aime et je haïsse ; que je me plaigne et que je remercie, ce que la nature n’admet pas. Il vaut mieux, comparaison faite du bienfait et de l’injure, voir s’il ne m’est pas encore dû quelque chose. Tout comme un homme qui sur les lignes de mes manuscrits s’aviserait d’écrire d’autres lignes n’enlèverait pas les premiers caractères et ne ferait que les couvrir, ainsi l’injure qui survient ne laisse plus voir le bienfait.