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DES BIENFAITS, LIVRE IV.

noblesse d’un infâme est préférée au mérite sans nom. Ce n’est pas sans raison qu’on a consacré la mémoire des grandes vertus, et plus de gens sont heureux de bien faire, si la reconnaissance du bien ne meurt pas avec eux. Qui a fait consul le fils de Cicéron, si ce n’est le nom de son père ? Qui fit naguère passer d’un camp hostile à la même dignité et Cinna, et Sextus Pompée, et les autres Pompée, sinon la grandeur d’un seul homme, grandeur telle que sa chute même élevait encore assez haut tous les siens19 ? Tout récemment Fabius Persicus, dont même les bouches impures évitaient le baiser[1], à qui dut-il d’être promu au sacerdoce dans plus d’un collège, sinon à ce Verrucosus, à cet Allobrogicus et à ces trois cents qui, pour sauver la république, opposèrent une seule famille à l’invasion de l’ennemi ? C’est notre dette envers toute vertu que de la révérer vivante et après même qu’elle a disparu de nos yeux. Comme elle s’est efforcée non-seulement d’être utile à l’âge contemporain, mais d’étendre ses services jusque dans ceux où elle ne serait plus, que de même notre gratitude ne se borne pas à une seule génération. Cet homme a donné le jour à de grands citoyens : nos bienfaits lui sont dus ; quel qu’il puisse être, il mérite par ses fils. Cet autre est issu d’illustres aïeux : quel qu’il soit, laissons-le s’asseoir à l’ombre de leurs noms. Comme les lieux les moins purs rayonnent alors qu’ils reflètent le soleil, il est bon que d’obscurs neveux tirent quelque éclat de leurs ancêtres.

XXXI. Ici, cher Libéralis, je crois devoir justifier les dieux. Souvent en effet on se demande à quoi songeait la Providence en mettant sur le trône un Aridée. Crois-tu que ce fut à lui qu’elle donnait ce trône ? Non, mais bien à son père, mais à son frère. Pourquoi établit-elle maître du monde Caligula, cet homme si altéré du sang des hommes et qui le faisait couler sous ses yeux avec autant[2] de délices que si sa bouche eût dû le boire ? Est-ce donc à lui, penses-tu, que fut donné l’empire ? N’est-ce pas à son père Germanicus, et à son aïeul, et à son bisaïeul et à d’autres qui, antérieurs à ceux-ci, ne leur ont pas cédé en gloire, bien que restés dans la vie privée et dans l’égalité commune ? Toi, Libéralis, quand tu faisais[3]consul

  1. Je lis, comme Pincianus : cujus osculum etiam impuri vitabant. Texte vulgaire, altéré : cujus osculum etiam impediret viri vota boni.
  2. Au texte : jubebat. Je crois qu’il faut lire : juvabat.
  3. Il faut lire avec Fickert faceres et non faceret. Voy. en effet la fin du chapitre.