Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/436

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
399
DES BIENFAITS, LIVRE III.

mémoire des hommes à pouvoir se dire : « J’ai obéi, j’ai cédé en tout à mes parents ; leurs commandements, soit justes, soit iniques et cruels pour moi, m’ont trouvé docile et soumis ; sur un seul point j’ai été rebelle ; je n’ai pas voulu leur être inférieur en bienfaits. » Luttez de dévouement, je vous en conjure, et, même après un échec, rétablissez vos lignes. Heureux les vainqueurs ! Heureux encore les vaincus ! Quoi de plus beau qu’un jeune homme puisse tenir ce langage à lui-même, car à tout autre ce serait impie : « J’ai vaincu mon père en bienfaits ? » Quoi de plus fortuné qu’un vieillard qui répète à tous et partout que les bienfaits de son fils l’emportent sur les siens ? Quoi de plus triomphant que de céder à cet autre soi-même13 ?



LIVRE IV.

I. De tous les points que nous avons traités, Æbutius Liberalis, aucun peut-être ne semblera aussi essentiel, ou méritant, comme dit Salluste, un plus grand soin d’exposition, que celui qui vient sous ma plume : l’acte qui opère le bienfait, et la gratitude qui paye de retour sont-ils par eux-mêmes choses désirables ?

Il se trouve des hommes qui ont pour l’honnête un culte intéressé : la vertu gratuite ne saurait leur plaire, la vertu, qui n’a plus rien en soi de magnifique, dès qu’elle a quelque chose de vénal ! Quoi de plus honteux en effet que de supputer à quel taux on se ferait homme de bien ? Il n’est pour la vertu ni gain qui séduise, ni perte qui décourage : elle est si loin d’employer la corruption des promesses et de l’espérance, qu’elle exige au contraire que pour elle on se sacrifie, elle qui souvent se donne en tributs volontaires. C’est en foulant aux pieds nos intérêts qu’il faut marcher à elle, n’importe où elle nous appelle, où elle nous envoie, sans égard pour notre fortune ; au besoin même, ne soyons pas avares de notre sang pour la suivre, et que jamais ses ordres ne soient discutés par nous.

« Que gagnerai-je, dira-t-on, à faire tel acte de courage, de reconnaissance ? » La conscience de l’avoir fait. On ne te promet rien au delà ; s’il t’en advient par suite quelque avantage, compte-le comme une gratification du hasard. L’honnête porte