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DES BIENFAITS, LIVRE III.

Octavius fut-il jamais le bienfaiteur de son fils, plus que ce fils, devenu Auguste, n’a été celui de son père, bien que le rang du père adoptif (Jules César) laissât dans l’ombre Octavius ? Quelle satisfaction pour lui, s’il eût vu Auguste, après les guerres civiles étouffées, donner la paix et la sécurité au monde ! Il n’eût pas reconnu son propre sang : il eût à peine cru, reportant ses yeux sur lui-même, que ce grand homme fût né dans sa maison.

Irai-je après cela citer tant d’autres pères que l’oubli eût déjà dévorés, si la gloire de leurs fils ne les eût tirés des ténèbres et ne leur conservait encore quelque éclat ? D’ailleurs, nous n’examinons pas s’il est des fils qui aient rendu à leurs pères plus qu’ils n’en ont reçu, mais si la chose est possible. Quand les traits que j’ai rapportés ne te satisferaient point, ne surpasseraient point le bienfait de la vie, un fait est-il au delà des forces de la nature parce qu’aucun âge ne l’a encore produit ? Si un acte isolé ne peut l’emporter en grandeur sur le mérite des soins paternels, plusieurs réunis feront pencher la balance.

XXXIII. Scipion sauva son père dans un combat : à peine revêtu de la prétexte, il poussa son cheval contre l’ennemi ; s'était peu d’avoir bravé, pour arriver à son père, les extrêmes périls qui de toutes parts pressaient les chefs principaux, d'avoir triomphé de tant d’obstacles, d’avoir, lui, nouveau venu, passé sur le corps aux vétérans pour courir à la première ligne, d’avoir enfin devancé son âge : ajoute que ce même héros va défendre ce père[1] accusé, l’arracher aux puissants adversaires ligués contre lui ; qu’il va, outre un second et un troisième consulat, accumuler sur lui tous les honneurs qu’un consulaire même puisse ambitionner, qu’il va faire hommage à sa pauvreté des trésors qu’il tient du droit de la guerre, et, chose la plus flatteuse pour un guerrier, l’enrichir des dépouilles de l’ennemi. Si c’est peu encore, ajoute qu’il lui continue ses gouvernements de provinces et ses commandements extraordinaires ; ajoute que, par la ruine des plus redoutables cités, devenu le protecteur et le vrai fondateur d’un empire qui désormais s’étendait sans rival de l’Orient à l’Occident, il apporte une illustration nouvelle à un père déjà si illustre. C’était, dis-tu, le père de Scipion ! Mais est-il douteux que le

  1. Il y a Ici une erreur presque incroyable. Ce n’est pas à son père, mais à son frère ainé, L. Scipion, que ces services ont été rendus. Est-ce erreur des copistes ? Patrem pour fratrem.