arrogance qui tue les bienfaits, c’est de leur prouver que les largesses ne paraissent pas plus grandes pour être faites avec plus de fracas ; qu’ils ne peuvent par là se grandir eux-mêmes aux yeux de personne ; que c’est une fausse dignité que celle de l’orgueil, et qu’elle ferait haïr même ce qu’il y a de plus aimable.
XIV. Il est des choses qu’il serait fatal d’obtenir ; et de celles-là ce n’est pas le don, mais le refus qui est un bienfait. Aussi doit-on considérer l’intérêt du demandeur avant son désir. Souvent en effet c’est notre mal que nous souhaitons13 et nous n’en pouvons entrevoir toute la portée, parce que la passion trouble le jugement. Mais sitôt que le désir s’attiédit, que cette fougue d’une âme ardente, devant laquelle a fui la raison, est tombée, on maudit les pernicieux auteurs de ces présents qui nous ont nui. Comme on refuse l’eau froide aux malades, le glaive aux désespérés qui rêvent le suicide, et aux amants tout ce que leur passion pourrait tourner contre eux-mêmes ; ainsi à toutes les demandes de choses préjudiciables, quand on emploierait sollicitations, soumissions, larmes pathétiques, nous opposerons une persévérante résistance. Il convient d’envisager l’effet le plus éloigné de nos services aussi bien que le plus prochain : donnons ce qu’on est heureux de recevoir, ce qu’on sera heureux aussi d’avoir reçu. Bien des gens disent : « Je sais que cela ne lui profitera pas ; mais que faire ? il m’en prie : je ne puis résister à ses instances. C’est son affaire ; c’est à lui, non à moi qu’il devra s’en prendre. » Tu te trompes : c’est à toi, et avec justice, quand la raison lui reviendra, quand la fièvre, qui embrasait son âme, se sera calmée. Comment ne haïrait-il pas celui qui ne l’a aidé que pour son dommage et au risque d’un grand mal ? Octroyer aux gens ce qui doit les perdre, c’est une bonté cruelle14. S’il est noble et beau de sauver un homme en dépit même de ses efforts et de sa volonté ; lui accorder de désastreuses faveurs, c’est de la haine officieuse et complaisante. Nos bienfaits doivent être de ceux qui, à mesure qu’on en use, satisfont de plus en plus, qui enfin ne tournent jamais à mal. Je ne donnerai point d’argent que je saurai devoir être le prix d’un adultère : je ne veux pas me trouver complice d’un acte ou d’un projet infâme. Si je puis, j’en préviendrai l’exécution ; sinon, je n’y aiderai pas. Que la colère emporte mon ami à un acte injuste, ou que l’ardeur de l’ambition l’éloigne des voies de la prudence, je me garderai qu’il