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ouverts 22 ; et si, par un généreux essor, nous voulons franchir les limites étroites de l’humaine faiblesse, notre esprit peut planer sur le vaste horizon des temps. Il peut discuter avec Socrate, douter avec Carnéade, goûter le loisir d’Épicure, triompher de l’humanité avec les stoïciens, l’outrepasser avec les cyniques, enfin, émule de la nature, entrer avec elle en partage de tous les siècles. Pourquoi de ce temps si borné, de cette vie précaire et transitoire ne pas s’élancer à plein vol vers ces espaces immenses, éternels ; où tous les sages sont nos concitoyens ?

Ces gens qui se prodiguent en mille visites officieuses, qui privent du repos eux et les autres, quand ils ont bien satisfait leur manie, et frappé comme ils font chaque jour à toutes les portes, et pénétré par chacune de celles qu’ils ont trouvées ouvertes, et promené à la ronde leurs salutations intéressées, dans cette ville immense qu’agitent tant de passions diverses, combien de personnes ont-ils pu voir ? Combien dont le sommeil, la débauche ou l’incivilité les a éconduits, ou qui ont mis leur patience aux abois pour finir par leur échapper, sous prétexte d’affaire pressante ? Combien ont évité de paraître dans leur vestibule encombré de clients et se sont dérobés par quelque issue secrète, comme s’il n’était pas plus malhonnête d’esquiver une visite que de la refuser ? Combien, à demi endormis et alourdis par l’orgie de la veille, tandis que des malheureux ont hâté leur réveil pour aller attendre celui du patron, combien entr’ouvriront à peine les lèvres pour redire dans un bâillement dédaigneux un nom 23 que leur esclave leur souffla mille fois à l’oreille ?

Celui-là, nous pouvons le dire, cultive de vrais amis qui cherche tous les jours à se familiariser davantage avec un Zénon, un Pythagore, un Démocrite, un Aristote, un Théophraste, et tous ces autres oracles de la morale et de la science. Pas un qui n’ait pour nous du temps de reste, pas un qui ne nous reçoive, qui ne nous renvoie plus contents de nous-mêmes et de lui, pas un qui nous laisse partir les mains vides. La nuit comme le jour ils sont accessibles pour tous. Pas un ne te forcera de mourir, tous t’en apprendront le secret ; ils n’useront pas tes années à leur profit, ils t’offriront le tribut des leurs. Tu n’auras point à pâlir de leur avoir parlé ; leur amitié ne te sera pas mortelle ; et ce 24 n’est pas à grands frais qu’on leur fait sa cour.

XV. Tu emporteras de chez eux tout ce que tu voudras : il