sa vieillesse courbée sur un bâton. Mais il obligera tous ceux qui en seront dignes ; et, à l’exemple des dieux, sa prédilection sera pour le malheur. La commisération est voisine de la misère ; elle a quelque chose d’elle et participe de sa nature. Il n’est, sachez-le bien, que des yeux malades qui, en voyant d’autres yeux50 couler, larmoient à leur tour ; tout comme certes ce n’est pas gaieté, mais faiblesse de nerfs, que de rire toujours lorsque rient les autres, et de bâiller par contre-coup à chacun de leurs bâillements. La commisération est l’infirmité d’une âme trop sensible à l’aspect de la misère : l’exiger du sage serait presque vouloir qu’il se lamentât et s’en vînt gémir aux funérailles du premier venu51.
VII. Mais pourquoi ne pardonne-t-il pas ? Je vais le dire. Établissons d’abord ce que c’est que le pardon, pour qu’on sache que le sage ne doit pas l’accorder. Le pardon est la remise d’une peine méritée. Pourquoi le sage ne doit-il pas faire cette remise ? On en trouve les raisons longuement déduites ohez ceux qui ont traité cette matière. Je serai plus bref, le débat n’étant pas soulevé par moi ; je dirai : On pardonne à celui qu’on devait punir : or le sage ne fait jamais ce qu’il ne doit pas et n’omet jamais ce qu’il doit faire ; il ne remet donc pas la peine qu’il doit infliger ; mais ce que vous demandez au pardon, le sage prend une voie plus honorable pour l’accorder : il épargne, il conseille, il rend meilleur. Il agit comme s’il pardonnait, et il ne pardonne pas ; parce que pardonner, c’est avouer qu’on omet quelque chose de ce qu’on eût dû faire. Il admonestera l’un de paroles seulement, sans lui appliquer d’autre peine, eu égard à son âge susceptible encore d’amendement ; cet autre, victime manifeste de préventions outrées, il le déclarera quitte, comme dupe d’une erreur ou ayant failli dans l’ivresse. Il renverra des prisonniers de guerre sains et saufs, quelquefois même avec éloge, si c’est pour de nobles motifs, pour la foi jurée, pour les traités, pour la liberté qu’ils ont pris les armes. Ce sont là des actes non de pardon, mais de clémence. La clémence a son libre arbitre : elle ne juge pas d’après un texte, mais selon l’équité la plus large : elle a droit d’absoudre et de régler le litige au taux qu’il lui plaît. Non qu’elle fasse rien en cela de moins que ne veut la justice, mais c’est qu’elle voit dans ses arrêts la justice