donc : donnez rarement, avec répugnance et après une longue hésitation, cette signature qu’il faut parfois nécessairement tracer, et qui vous faisait prendre l’écriture en haine ; oui, selon votre usage, hésitez longtemps, ajournez, plus d’une fois.
III. Et pour ne pas prendre le change à ce mot séduisant de clémence qui pourrait nous jeter dans un autre excès, examinons en quoi elle consiste, quelles sont et sa nature et ses limites. La clémence est la modération d’une âme qui a le pouvoir de se venger ; ou bien, c’est l’indulgence du supérieur dans la punition de l’inférieur. Il est plus sûr de donner plusieurs définitions, de peur qu’une seule ne soit incomplète et, pour ainsi dire, n’échoue par un vice de formule : on peut donc encore appeler clémence une disposition de l’âme à la douceur dans l’application des peines. Une autre définition, qui trouvera des contradicteurs, quoiqu’elle approche le plus du vrai, serait celle-ci : la clémence est cette modération qui remet quelque chose de la peine due et méritée ; on va se récrier et dire qu’aucune vertu ne fait rien de moins que ce qu’elle doit. Et cependant tous reconnaissent la clémence dans cette retenue de l’âme qui reste en deçà de ce que la justice pouvait infliger. L’ignorance croit que la sévérité est le contraire de la clémence ; mais jamais vertu ne fut le contraire d’une autre vertu.
IV. Quel est donc l’opposé de la clémence ? La cruauté, qui n’est autre chose qu’un excès de rigueur dans la mesure des châtiments. Mais il est des hommes qui, sans avoir à châtier, sont néanmoins cruels : ceux, par exemple, qui tuent des inconnus, des passants, non en vue d’un profit, mais pour le plaisir de tuer. Et non contents d’assassiner, ils torturent, comme Sinis, comme Procuste, comme les pirates qui accablent de coups leurs captifs et les jettent vivants dans les flammes. Voilà aussi de la cruauté : mais n’étant pas une suite de la vengeance, car il n’y a pas eu offense, ni du courroux qu’excite un méfait, puisqu’aucun crime ne l’a provoquée, elle est en dehors de notre définition, laquelle ne comprend que l’excessive rigueur dans les punitions. Nous pourrions dire : c’est être plus que cruel, c’est être féroce que de se faire une joie de torturer ; nous pourrions dire : c’est de la démence ; car il en est de plus d’un genre, et la plus caractérisée est celle qui va jusqu’à massacrer et déchirer des hommes. J’appellerai donc cruels ceux-là seulement qui punissent, non sans motif, mais sans mesure. Tel était Phalaris qui, dit-on, sévissait non