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DE LA CLÉMENCE, LIVRE II.

la vôtre, il vous présentait le papier, il vous le mettait en main, et vous vous écriâtes : Je voudrais ne pas savoir écrire43 ! Ô réponse digne d’être entendue de toutes les nations qui couvrent le sol de l’Empire, et de celles qui jouissent sur nos confins d’une précaire indépendance, et de celles qui de fait ou d’intention nous sont hostiles ! Qu’elle serait digne d’être transmise à l’assemblée générale des peuples pour servir de formule au serment de leurs chefs et de leurs rois! Comme elle rappelle l’innocence primitive du monde et mériterait de faire revivre ces anciens jours ! Oui, c’est maintenant qu’il serait à propos de s’entendre pour revenir au juste et à l’honnête en bannissant la convoitise du bien d’autrui, source de toutes les corruptions du cœur : il serait temps qu’on vît la piété, l’intégrité, la foi, la modération renaître, et qu’après les excès de sa trop longue domination, le génie du mal fît à la fin place au règne du bonheur et de la vertu.

II. Cet avenir, César, est en grande partie le nôtre : j’en accepte et proclame avec joie l’augure. La douceur de votre âme va se répandre et pénétrer insensiblement dans tout le corps de votre empire ; tout se va former sur votre modèle44. C’est à la tête que se rattache toute la santé de l’homme : c’est d’elle qu’il reçoit la vigueur et l’énergie, par elle qu’il languit et s’affaisse ; elle est l’esprit de vie comme le principe de mort. Et citoyens et alliés, tous se rendront dignes de la bonté du prince ; on verra par tout le globe les vertus reparaître ; on abjurera l’esprit de violence.

Pardonnez si je m’arrête quelque peu à parler de vous. Ce n’est pas pour charmer votre oreille, telle n’est point ma coutume, et j’aimerais mieux vous choquer par la vérité que vous plaire par la flatterie45. Quel est donc mon but ? Outre que je veux vous rendre le plus familiers qu’il se peut les actes et les paroles qui vous honorent, afin que ce qui est aujourd’hui l’élan d’une heureuse nature devienne un principe46 réfléchi ; je songe en moi-même à cette foule de mots expressifs, mais horribles, passés en maximes sociales qui se répètent et circulent partout, comme celle-ci : Qu’on me haïsse, pourvu qu’on me craigne ! ce qui ressemble à ce vers grec : Que la terre à ma mort s’abîme dans les flammes47, et à mille traits de même espèce. Or je ne sais comment dans les âmes atroces, exécrables, la matière prêtait davantage pour rendre leur pensée avec vigueur et véhémence. Je ne connais pas une parole de douceur et de bonté dont l’énergie me frappe. Pour conclure