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DE LA CLÉMENCE, LIVRE I.

pis à vivre sous l’empire des lions et des ours, à la merci des serpents et des animaux les plus destructeurs ? Encore ces êtres privés de raison, prévenus selon nous et coupables de férocité, respectent-ils ceux de leur espèce ; et chez les brutes du moins la ressemblance est une sauvegarde42. Le tytan, dans sa rage, méconnaît même les liens du sang ; étrangers ou parents, tout lui est égal, pourvu qu’il s’exerce, par le meurtre des individus, à faucher des nations entières. Embraser des villes, faire passer la charrue sur d’antiques cités, c’est, pour lui, donner preuve de puissance ; n’immoler qu’une ou deux victimes n’est pas assez royal ; et si d’un même temps il ne fait tendre la gorge à toute une troupe de malheureux, il s’imagine que son droit de sévir est amoindri. Ah ! plutôt quel bonheur n’est-ce point de sauver une foule d’hommes, de les rappeler comme du sein de la mort à la vie, et de mériter par sa clémence la couronne civique ! Quel plus digne, quel plus beau laurier pour un front souverain que cette couronne : Pour avoir sauvé des citoyens ! Que sont auprès ces faisceaux d’armes ravis aux vaincus, ces chars teints du sang des barbares, ces dépouilles, fruits de la conquête ? C’est un pouvoir divin que celui qui sauve des multitudes d’hommes et des peuples ; mais tuer en masse et sans distinction, un incendie, un mur qui s’écroule ont ce pouvoir-là.


LIVRE II.

I. Ce qui m’a engagé, Néron César, à écrire sur la clémence, c’est surtout une parole que je n’ai pu vous entendre proférer, ni redire moi-même à d’autres sans admiration ; parole généreuse, magnanime, pleine d’humanité, qui non calculée, ni émise pour les oreilles de la foule, éclata tout à coup, et mit au grand jour la lutte d’un bon cœur avec les devoirs de votre rang. Près de sévir contre deux brigands, le préfet de vos cohortes, le vertueux Burrhus que vous, son prince, savez apprécier, vous pressait d’écrire le nom des coupables et pour quel motif vous vouliez punir : cette sanction, longtemps ajournée, il insistait pour l’obtenir enfin. Forçant sa répugnance et