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DE LA CLÉMENCE, LIVRE I.

de crainte. Peut-on supporter une si douloureuse existence, quand il est si facile, sans faire de mal et, partant, sans en craindre, d’exercer une autorité tutélaire à la satisfaction de tous ? Quelle erreur de croire qu’il y ait sûreté pour le prince, là où rien n’est en sûreté contre lui ! Par la sécurité35 qu’on donne on achète la sécurité. Il n’est pas besoin de bâtir de hautes forteresses, de munir de retranchements des collines escarpées, de tailler à pic les flancs des montagnes, de se hérisser de murailles et de tours : un roi sans gardes est protégé par sa clémence. Il n’est de rempart inexpugnable que l’amour des citoyens.

Quoi de plus beau pour le prince que de vivre entouré des vœux d’un peuple entier, vœux qui ne s’énoncent pas sous l’œil des délateurs ; que de voir le moindre ébranlement de sa santé exciter non l’espoir, mais l’alarme de tous ; de savoir que ses sujets n’ont rien de si précieux qu’ils ne sacrifient pour sauver ses jours et qu’ils se figurent éprouver eux-mêmes tous les biens qui peuvent lui arriver ? Il prouve par les actes d’une bonté journalière que la république36 n’est pas à lui, mais bien lui à la république. Qui oserait lui dresser quelque embûche ? Qui ne souhaiterait, s’il était possible, détourner même les coups du sort loin d’un chef sous qui la justice, la paix, la pudeur, la sécurité, l’honneur fleurissent respectés, et qui maintient l’État enrichi dans l’abondance de tous les biens ? il est contemplé comme le serait la divinité, si elle daignait se rendre visible à nos adorations et à notre culte. Car enfin, n’est-ce pas approcher des dieux que se montrer, comme est leur nature, bienfaisant, généreux, puissant pour le bonheur du monde ? Voilà le but, voilà l’exemple à se proposer : n’être jugé le plus grand que pour qu’on vous juge aussi le meilleur.

XX. Un prince punit pour l’un de ces deux motifs : ou il se venge, ou il venge autrui. Discutons d’abord le motif qui le touche personnellement ; car la modération est plus difficile, quand la vengeance est réclamée par le ressentiment et non pour l’exemple. Est-il besoin qu’ici j’avertisse de ne pas croire aisément, d’approfondir les choses, de présumer plutôt l’innocence, de montrer qu’aux yeux du juge l’affaire le touche, comme elle touche le prévenu. Ceci n’est que justice ; la clémence n’a rien à y voir. Mais nous exhorterons le prince, lorsque l’offense est manifeste, à rester maître de lui-même, à faire grâce de la peine s’il le peut sans risque, sinon à la réduire ; à se montrer enfin plus exorable dans sa cause