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XXVII
ET LES ÉCRITS DE SÉNÈQUE.


marquée d’un sceau original et ineffaçable, telles sont en grande partie les qualités qui ont fait vivre ses écrits. On les a cités, on les cite comme ceux des grands poëtes qui en un vers ou deux ont concentré quelque règle morale, quelque saillie de bon sens, quelque vérité des plus applaudies. Sa prose en effet se retient comme des vers, et ses phrases ont fait proverbes. Il a dominé tout son siècle ; les plus grands écrivains d’alors ont conservé de lui des reflets fort reconnaissables. Lucain, Juvénal, Quintilien, les deux Pline relèvent de lui ; Florus, membre de sa famille, a, comme lui, la concision et la pompe des images ; Tacite ne tire pas mal à l’escrire de Sénèque, dit Montaigne ; Martial rappelle sa touche précise, sa netteté de trait, ses contrastes d’idées et de mots ; plus d’un père de l’Église latine et même grecque l’a pratiqué et imité, saint Augustin surtout, Tertullien, saint Jérôme, Salvien. Le deuxième concile de Tours le cite avec respect. Montaigne a fait de lui ses délices : « Car, dit-il, il pique, éveille en sursaut, échauffe et ravit l’esprit ; » et, l’associant à Plutarque : « Mon livre est maçonné de leurs dépouilles. » Ces dépouilles, il ne les avouait pas toutes ; il les fondait dans son œuvre, et disait malignement de ses critiques : « Je veux qu’ils donnent une nasarde à Plutarque sur mon nez, et qu’ils s’eschaudent à injurier Seneque en moy. Il faut musser (masquer) ma foiblesse sous ces grands crédits. » (Liv. II, chap. x.) Du reste, le style rapide, figuré, sentencieux et fort souvent antithétique de Sénèque, se reconnaît plus aisément que ne croyait Montaigne dans sa phrase abondante, mais riche de menus détails. Nous en avons montré plus d’un exemple dans nos notes.

Après Montaigne, et au temps surtout où l’influence du génie espagnol prévalait chez nous, Sénèque fut prodigieusement lu et imité. Balzac, ce rénovateur en France de la prose oratoire et cicéronienne, y mêla encore plus d’emprunts faits à la manière grandiose ou ingénieuse de notre philosophe ; Malherbe, qui pourtant n’a traduit que d’un style incolore beaucoup de ses lettres et de ses traités, lui