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APOKOLOKYNTOSE.


Phébus paraît : il voit par delà les années
D’un Nestor, d’un Tithon, croître ces destinées,
Et joyeux les dévoile en ses doctes chansons,
Prodigue tour à tour d’hymnes et de toisons.
C’est dors qu’oubliant les heures fugitives,
À la lyre, à la voix, ses trois sœurs attentives[1],
N’en poursuivent que mieux leur travail empressé.
Le plus long âge d’homme est plus que dépassé ;
Et des vers fraternels on vante l’harmonie ;
Et la chaîne des jours se prolonge infinie.
« Ô Parques ! respectez cette œuvre de vos mains :
Qu’il garde, dit Phébus, tous ces dons surhumains.
Ce héros me ressemble et d’air et de visage ;
L’art des chants sur la lyre est aussi son partage ;
L’âge d’or avec lui s’en va recommencer ;
Le silence des lois grâce à lui doit cesser.
Comme on voit de Vénus l’étoile fortunée
Ou Vesper ramenant la nuit illuminée,
Ou la vermeille Aurore, ou, quand mon astre a lui,
L’ombre déjà dissoute et fuyant devant lui,
Tel se lève Néron ; tel aux regards de Rome
D’un pur et doux éclat brille ce fier jeune homme :
La bonté se reflète en ses traits, dans ses yeux,
Et sur un cou de lis flottent ses blonds cheveux. »

Ainsi dit Apollon. Lachésis, qui voulait pour sa part favoriser un si beau mortel, ourdit les fils à pleines mains et ajoute à Néron maintes années de gratification. Pour Claude tous décident

Qu’avec des chante de joie au plus vite on l’enterre.

Et son âme s’échappe en bulle d’air, et il n’y eut plus moyen de le prendre pour un vivant. Il rendit le dernier souffle en écoutant des comédiens[2] : on voit que j’ai bien raison de craindre ces gens-là. Voici la dernière parole que les hommes aient ouï sortir de sa bouche, après un son plus bruyant émis par l’organe dont il parlait avec le moins de peine[3] : « Ô

  1. Selon quelques auteurs, les Parques étaient filles de Jupiter et de Thémis ; de l’Erèbe et de la nuit, sel à la plupart.
  2. Agrippine, pour mieux cacher la mort de son époux, fit venir au palais des comédiens, comme pour le divertir. Suét., Claud., 45.
  3. Il avait songé, dit encore Suétone, chap. xxxii, à rendre un édit pour accorder toute liberté flatum crepitumque ventris emittendi. Voir Trimalchion dans Pétrone, 47, et les Réflexions plaisantes de Montaigne, I, 20.