Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/288

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
251
DE LA TRANQUILLITÉ DE L’ÂME.


d’un réseau que tu ne saurais dénouer ni rompre. Songe que les prisonniers ont d’abord peine à supporter le poids de leurs fers et de leurs entraves : peu à peu le désespoir fait place à des dispositions plus résignées ; la nécessité leur enseigne à tout subir avec courage, l’accoutumance le leur rend facile. Point de situation dans la vie qui n’ait ses douceurs, ses heures de relâche, ses plaisirs, pourvu qu’au lieu de se croire à plaindre, on travaille à se faire envier.

Le meilleur titre que la nature ait à notre reconnaissance, c’est que sachant pour quelles misères nous naissons, elle a imaginé, comme adoucissement à nos peines, l’habitude qui nous familiarise vite avec ce qu’elles ont de plus rude15. Nul n’y résisterait, si les adversités avaient dans leur durée la même violence qu’au premier choc, La fortune nous mène tous en captifs : l’un porte des fers dorés et plus lâches ; ceux de l’autre sont plus serrés et de métal grossier. Mais qu’importe ? la même surveillance nous enveloppe tous ; ils sont enchaînés aussi ceux qui rivent nos chaînes16, à moins qu’on ne juge moins lourde celle qui tient au bras gauche des gardiens. À celui-ci ses honneurs, à celui-là son opulence, à ce troisième sa noblesse, à cet autre son obscurité, sont autant de liens odieux ; certains hommes sentent peser sur leur tête le pouvoir d’autrui, quelques-uns le leur propre ; tel a l’exil pour prison, tel autre le sanctuaire. Tout état est un esclavage. Accoutumons-nous donc au nôtre ; plaignons-nous-en le moins possible, et sachons saisir tout ce qu’il s’y rattache d’avantages. Il n’est pas de sort si pénible qu’un bon esprit n’y trouve quelque dédommagement. Souvent, par une habile distribution, un très-petit espace se prête à une foule d’emplois, et l’enclos le plus resserré devient habitable à qui sait en tirer parti. Oppose la raison à tous les obstacles : devant elle les âpres écueils s’aplanissent, les étroits sentiers s’élargissent, et les fardeaux sont moins lourds à qui sait les porter. Il ne faut pas non plus que nos désirs volent trop loin ; ne leur laissons que l’horizon le plus proche, puisqu’ils ne peuvent souffrir une captivité absolue. Renonçons à ce qui n’est point pour nous ou qui coûte trop de peine ; allons à ce qui appelle notre main et sourit à nos espérances17 ; mais sachons que toutes choses sont également frivoles ; à l’extérieur diverses formes, au fond mêmes vanités.

N’envions point ceux qui tiennent les hauts rangs : leur apparente élévation n’est que le penchant d’un précipice. À leur