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DE LA PROVIDENCE.


qu’ils aiment à montrer, mais de celui qu’ils cachent, ce n’est qu’indigence, ordure, turpitude : ils ressemblent à leurs murailles, ils n’ont de beau que la surface19. Là n’est point l’intrinsèque et pure félicité ; ce n’est qu’un placage, et bien mince. Tant qu’ils peuvent se tenir debout et se faire voir comme ils veulent être vus, ils brillent, ils imposent ; qu’un accident les déconcerte et les démasque, alors se découvrent les profondes et réelles souillures qu’un éclat d’emprunt déguisait. À vous seuls j’ai donné les biens sûrs et durables ; plus vous les sonderez et retournerez sous toutes les faces, plus vous les trouverez immenses et sans prix. Je vous ai donné de braver ce que tous craignent, de mépriser ce qu’ils convoitent. Votre éclat n’est point en dehors : tous vos trésors sont au dedans de vous. Ainsi le ciel n’a que faire de ce qui n’est pas lui : il est à soi-même un assez beau spectacle. C’est dans vous que j’ai placé tous vos biens : votre bonheur est de n’avoir pas besoin du bonheur. « Mais que d’afflictions, d’affreux revers, d’épreuves « accablantes ! » Comme je ne pouvais vous y soustraire, j’ai armé vos âmes contre tous les assauts. Souffrez avec courage, par là vous l’emporterez sur moi-même : je suis en dehors de la souffrance ; vous êtes, vous, au-dessus d’elle20. Bravez la pauvreté : nul ne vit aussi pauvre qu’il est né. Bravez la douleur : elle passera, ou vous passerez. Bravez la Fortune : je ne lui ai pas donné de trait qui aille jusqu’à l’âme. Bravez la mort : elle est pour vous le néant ou une nouvelle vie. Avant tout j’ai voulu qu’on ne pût vous retenir malgré vous : la retraite est ouverte. Renoncez-vous à combattre ? Fuyez, vous êtes libres ; de toutes les nécessités que je vous ai imposées, il n’en est point que j’aie rendue plus facile que la mort. Votre âme est sur une pente rapide, entraînante. Ouvrez les yeux, et voyez combien est court et dégagé le chemin qui mène à la liberté. Je n’ai pas mis d’aussi longs obstacles à la sortie qu’à l’entrée de cette vie. Le sort aurait eu sur vous trop d’empire, si l’homme avait autant de peine à mourir qu’à naître. Pas d’instant, pas de lieu qui ne vous enseigne combien il est aisé de rompre avec la nature et de lui renvoyer son présent. Au pied même des autels et dans les solennels sacrifices où l’on implore de longs jours, apprenez à mourir. Les taureaux de la plus belle taille succombent à une minime blessure : ces animaux, dont la force est si grande, la main de l’homme les abat d’un seul coup ; le fer le plus mince sait rompre les liens des vertèbres ; et l’articulation qui joint la tête au cou une fois tranchée,