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NOTICE SUR LA VIE


fois nuancées de teintes nouvelles et plus riches que les premières, que de pensées hardies, grandes, fortes, souvent même sublimes ! Il abuse aussi de l’antithèse ; et cette forme de langage lui est devenue si familière que sa pensée, même la plus simple et la plus heureuse, s’y jette et en ressort mainte fois brillante et fraîche comme de son moule naturel : la plupart de ses mots les plus cités sont des antithèses. Il rappelle par là notamment saint Augustin qui l’admirait et l’imitait fort. Il est fréquemment emphatique, trop tendu dans l’idée comme dans l’expression ; il a une certaine uniformité de grandeur qui semble craindre de descendre, défaut qui tient à plus d’une cause, à son pays, à son éducation, à son siècle, aux doctrines stoïciennes enfin. Né Espagnol, comme Lucain, Florus, Martial, Silius Italicus, Quintilien, et fils d’un rhéteur de profession, et nourri plus que tout autre de déclamations, parmi les cris de l’école, comment, sous cette double tendance, n’eût-il pas reproduit l’enflure castillane et ce parler sonore et grandiose que ne sut pas tempérer comme lui son neveu Lucain ? Ce n’est pas que la vraie grandeur soit étrangère à Sénèque, loin de là, non plus que la délicatesse de ton et l’esprit de mesure : nous ne parlons ici que des défectuosités de sa manière.

L’introduction des étrangers dans la cité romaine, le grand nombre d’idées et d’images nouvelles mises par eux en circulation, la suppression de la tribune politique, l’oppression générale, l’énervement des âmes et la corruption croissante des mœurs avaient amené celle de l’éloquence. Sénèque, comme tout grand écrivain, était doué d’un sens critique éminemment juste. Çà et là, surtout dans ses lettres, il censure dans autrui avec une exactitude frappante une grande partie des défauts qu’il tenait à son insu du milieu littéraire et moral dans lequel il vivait ; son juge le plus expert, son censeur le plus sûr, plus délicat encore que Quintilien, ç’a été lui-même. Il a signalé l’influence de son siècle sur la pureté du langage, notamment dans sa lettre CXIV, où il démontre éloquemment que la littérature, comme on l’a répété de