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DE LA PROVIDENCE.


imposées aux plus braves ? Le chef envoie des hommes d’élite, s’il faut, de nuit, surprendre et attaquer les ennemis, reconnaître un chemin, débusquer un poste. Aucun d’eux au départ ne dit : « Mon général m’a fait tort ; » mais : « Il m’a bien jugé.»

Qu’ainsi parle tout mortel commandé pour souffrir ce qui coûte tant de pleurs aux timides et aux lâches : « Dieu nous estime assez pour éprouver en nous jusqu’où va chez l’homme la puissance de souffrir. »

Fuyez les délices, fuyez cette mollesse énervante qui détrempe vos âmes, et les endort dans une continuelle ivresse, tant qu’un revers subit ne vous avertit point que vous êtes hommes. Celui que des panneaux diaphanes ont toujours défendu contre l’impression de l’air, qui garde aux pieds de tièdes enveloppes incessamment renouvelées, dont la salle de festins est entretenue dans une douce température par la chaleur qui circule sous le parquet et dans les murailles, celui-là ne peut sans risque être effleuré du plus léger souffle. Tout excès est nuisible, l’excès de la mollesse bien plus que tout autre. Il dérange le cerveau, entraîne l’esprit à de fantasques imaginations, répand sur le vrai et sur le faux un nuage épais qui confond leurs limites. Ne vaut-il pas mieux bien supporter une infortune continuelle qui nous convie à la vertu que d’être écrasé de l’énorme poids d’une félicité sans mesuré ? On s’éteint plus doucement par l’inanition ; l’indigestion déchire les entrailles. Les dieux suivent le même procédé avec les gens de bien que les précepteurs avec leurs disciples : ils exigent plus de travail de ceux dont ils ont meilleure espérance. Est-ce en haine de ses enfants, crois-tu, que le Spartiate éprouve leur courage par des flagellations publiques ? Le père est là qui les exhorte à supporter les coups sans faiblir ; tout déchirés et à demi morts, on les conjure de tenir bon, d’offrir leurs corps blessés à de nouvelles blessures. »

Qu’y a-t-il d’étonnant que Dieu mette à de rudes essais les âmes généreuses ? L’apprentissage de la vertu n’est jamais bien doux. La Fortune nous frappe et nous déchire : souffrons. Ce n’est pas une persécution, c’est une lutte ; plus nous reviendrons à la charge, plus nous y gagnerons de vigueur. La partie de notre corps la plus robuste est celle que nous avons le plus mise en jeu. Offrons-nous aux coups de la Fortune, pour nous endurcir par elle et contre elle. Elle finira par nous rendre de force égale à la sienne. Le mépris du danger nous viendra de l’accoutumance. Ainsi, les nautoniers se font des tempéra-