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DE LA PROVIDENCE.


l’affaiblissent même point ; ainsi tous les flots de l’adversité ne transforment point une âme courageuse, elle demeure la même et donne aux événements sa propre teinte ; car elle est plus forte que les accidents extérieurs : je ne dis pas qu’elle ne les sent point, mais elle en triomphe ; calme d’ailleurs et pacifique, elle ne se lève que pour repousser les chocs ennemis. Toute adversité est à ses yeux un exercice. Où est l’homme, digne de ce nom et que l’honnête aiguillonne, qui ne désire une épreuve à sa taille et ne brave le péril pour voler au devoir ? L’oisiveté pour toute âme active n’est-elle pas un supplice ? Nous voyons les athlètes soigneux de leur vigueur choisir les antagonistes les plus robustes et vouloir que ceux qui les préparent pour le combat déploient contre eux toutes leurs forces. Ils endurent les coups, les plus rudes étreintes ; et s’ils ne trouvent pas leur égal, ils tiennent tête à plusieurs à la fois. Le courage languit sans adversaire : sa grandeur, sa force, son énergie n’éclatent tout entières que dans l’épreuve de la douleur.

Voilà, sache-le bien, ce que doit faire l’homme vertueux, s’il veut ne pas redouter la fatigue et la peine et ne pas se plaindre de la destinée : quoi qu’il arrive, qu’il le prenne en bonne part et en fasse profit. L’important n’est pas ce que tu souffres, mais dans quel esprit tu le souffres. Vois quelle différence entre la tendresse d’un père et celle d’une mère ! Le père ordonne qu’on réveille son fils de bonne heure pour qu’il se livre à l’étude, même les jours de fête il ne le souffre pas à rien faire, il fait couler ses sueurs et quelquefois ses larmes. La mère, au contraire, le réchauffe sur son sein, toujours elle veut le tenir à l’ombre, éloigner de lui les pleurs, le chagrin, le travail. Dieu a pour l’homme de bien les sentiments d’un père, une mâle affection : « Qu’il soit, dit-il, secoué par la fatigue, par la douleur, par les privations, pour acquérir la véritable force. » Les animaux qui doivent à l’inaction leur embonpoint perdent toute vigueur ; et non-seulement le travail, mais le mouvement seul et leur propre poids les accable. Une prospérité non encore entamée ne résiste à aucune atteinte ; mais une lutte assidue avec les disgrâces, mais leurs chocs même durcissent l’épiderme ; devant aucun mal on ne cède : vient-on à tomber, un genou en terre on combat encore.

Tu es surpris que Dieu, qui affectionne les bons, qui veut les rendre meilleurs encore et le plus parfaits possible, leur impose pour exercice quelque calamité2. Et moi je ne m’étonne pas qu’il prenne parfois envie aux maîtres du ciel de considérer