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DE LA PROVIDENCE.


foudres ; les incendies vomis par la cime des monts entr’ouverts ; les secousses du sol ébranlé ; tous les mouvements qu’enfante autour du globe la partie orageuse de la création, quoique subits, n’arrivent pas sans dessein. Ils ont leurs raisons, comme ces phénomènes qui, vus hors de leur lieu naturel, paraissent des prodiges, tels que des eaux chaudes au milieu de la mer, et ces îles nouvelles qui tout à coup montent à sa surface. Et quand on voit la mer mettre à nu ses rivages en se retirant sur elle-même, et dans un court espace de temps les couvrir de nouveau, croira-t-on que c’est une aveugle impulsion qui tantôt repousse et refoule les ondes vers le large, tantôt les chasse et les renvoie précipitamment regagner leur place, si l’on observe surtout que ces eaux s’enflent progressivement, ont leurs heures et leurs jours marqués, et vont croissant ou décroissant suivant les attractions de la lune qui règle à son gré ces évolutions marines ?

Mais réservons tout cela pour le temps convenable ; d’autant que ce ne sont pas des doutes que tu élèves contre la Providence, mais des plaintes. Je te réconcilierai avec les dieux, toujours bons quand l’homme l’est lui-même. Car la nature ne comporte pas que ce qui est bon nuise aux bons. Il y a entre l’homme de bien et les dieux une amitié dont le lien est la vertu. Une amitié, ai-je dit, non ; c’est plus encore : une parenté, une ressemblance. L’homme de bien ne diffère de Dieu que par la durée : il est son disciple, son émule, son véritable fils1. L’être sublime dont il descend, sévère censeur de toutes vertus, est comme un père rigide : il élève durement sa famille.

Quand donc tu verras les hommes vertueux, les bienvenus de la divinité, voués à la peine, aux sueurs, gravir de rudes montées, tandis que les méchants sont en fête et regorgent de délices, rappelle-toi qu’on aime la retenue dans ses enfants, la licence dans ceux des esclaves, qu’on astreint les premiers à une règle austère et qu’on excite la témérité des seconds. Ayons de Dieu la même idée ; il ne traite pas mollement l’homme vertueux ; il l’éprouve, il l’endurcit, il le mûrit pour le ciel.

II. Pourquoi l’homme de bien essuie-t-il tant de traverses ? Rien de mal ne peut arriver à l’homme de bien : les contraires ne vont point ensemble. De même que toutes ces rivières, toutes ces pluies que versent les cieux, et ces milliers de sources médicinales, loin de changer la saveur de la mer, ne