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DE LA CONSTANCE DU SAGE.


Thrace ; il répondit que la mère des dieux était aussi du mont Ida[1].

XIX. Ne descendons point dans le champ des rixes et des luttes ; retirons-nous loin en arrière, et, quelques provocations que des insensés nous adressent, car l’insensé peut seul se les permettre, n’en tenons point compte. Et les hommages et les injures du vulgaire doivent être confondus dans le même mépris : ne nous affligeons pas de celles-ci, ne nous félicitons pas de ceux-là. Autrement la crainte ou le dégoût des mortifications nous feront omettre des devoirs essentiels ; et nous manquerons à ceux d’hommes publics et privés, souvent même à ce qui nous sauverait, si nous tremblons, dans nos anxiétés de femmes, de rien ouïr qui nous désoblige ; parfois aussi nos rancunes contre des hommes puissants se dévoileront avec une indiscrète liberté. Or la liberté ne consiste pas à ne rien tolérer ; détrompons-nous : être libre, c’est mettre[2] son âme au-dessus de l’injure ; c’est se rendre tel, qu’on trouve en soi seul la source de ses plaisirs ; c’est se détacher de l’extérieur, pour ne point passer sa vie dans l’inquiète appréhension des rires ou des propos de tout venant. Car qui ne pourra nous offenser, si un seul le peut ? Mais le sage et l’aspirant à la sagesse useront chacun d’un remède différent. À l’homme imparfait encore, et qui n’a pas cessé de se diriger sur le jugement du grand nombre, nous représenterons qu’à chaque pas l’injure et l’insulte l’attendent. Les accidents prévus sont toujours moindres. Plus sa naissance, sa renommée, son patrimoine le distinguent, plus il doit montrer de courage ; qu’il se souvienne qu’en première ligne se tiennent les soldats de haute taille. Les offenses, les paroles outrageantes, les diffamations, toutes les avanies de ce genre, qu’il les supporte comme les clameurs de l’ennemi, les dards lancés de trop loin, les pierres qui, sans blesser, frappent le casque et ne font que du bruit. Que les injures graves, comme ces traits qui percent ou les armes ou la poitrine, ne l’abattent ni ne le fassent broncher. Quelque force qui vous menace, vous presse, vous assiège, céder est toujours une honte ; défendez le poste que vous assigna la nature. Et quel est-il ? celui d’homme de cœur. Le sage a un tout autre auxiliaire qui vous manque, car vous

  1. Ida en Phrygie, non en Crète, par conséquent, aux yeux des Grecs, en pays barbare.
  2. Je lis avec trois manus.: superponere. Lemaire: supponere.