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osa dépeindre comment se comportait sa femme dans les bras d’un homme. Justes dieux ! un mari entendre ces choses, le prince les savoir, et pousser l’impudeur jusqu’à raconter je ne dis pas au consulaire, à l’ami, mais, lui empereur, à l’époux la honte de l’épouse et les dégoûts de son corrupteur ! Chéréa, tribun militaire, avait une voix qui ne répondait pas à son courage et dont les sons peu mâles et cassés pouvaient faire suspecter ses mœurs. Lorsqu’il demandait le mot d’ordre, le prince lui donnait tantôt Vénus, tantôt Priape, accusant ce guerrier d’infâmes complaisances dans des termes toujours nouveaux ; quand lui était en robe transparente, en sandales[1], chamarré d’or ! Chéréa fut contraint de recourir au glaive pour se soustraire à de pareils mots d’ordre. Le premier d’entre les conjurés il leva le bras sur l’empereur ; il lui fendit d’un seul coup la tête ; puis mille autres épées vinrent de toutes parts achever de venger les injures des citoyens et de la patrie. Mais le premier qui fut homme alors, c’est celui qui l’avait paru le moins.

Ce Caligula ne voyait en tout que des offenses, aussi incapable de les souffrir qu’avide de les faire. Il s’emporta contre Hérennius Macer, qui l’avait salué du nom de Caïus[2] ; et un centurion primipilaire eut à se repentir de l’avoir appelé Caligula[3]. On sait que, né dans les camps, il n’était familièrement désigné par le soldat que sous ce nom-là et sous celui d’enfant des légions ; mais Caligula lui parut une satire et un outrage dès qu’il eut chaussé le cothurne impérial[4].

Ce sera donc déjà une consolation de savoir que, notre indulgence oubliât-elle de se venger, il se trouvera quelqu’un qui châtie le provocateur, le superbe, d’où nous est venue l’injure : car de tels êtres n’épuisent pas leur fiel sur une seule personne et dans une seule attaque. 6. Jetons les yeux sur les exemples d’hommes dont nous louons la patience ; sur un Socrate, qui, assistant aux comédies où il était publiquement bafoué, prit la chose de bonne grâce et ne rit pas moins que le jour où sa femme Xantippe l’arrosa tout entier d’une eau immonde. On reprochait à Antisthène d’être né d’une mère barbare, d’une

  1. C'est-à-dire en chaussure de femme ou d'efféminé. Voir De la colère, III, XVIII; Des bienfaits, II, XII.
  2. Caïus, son nom de famille, au lieu de l'appeler César.
  3. Diminutif de caliga, chaussure de simple légionnaire.
  4. Voir le mot de Tibère, Des bienfaits, V, XXV.