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NOTICE SUR LA VIE


anciens. Encore si on l’eût égalé ! si du moins on eût approché d’un tel homme ! mais on ne l’aimait que pour ses défauts : chacun s’appliquait à en reproduire ce qu’il pouvait, puis, se vantant d’écrire comme lui, le discréditait par là même.

« Sénèque avait de nombreuses et grandes qualités, génie facile et abondant, beaucoup d’études, vastes connaissances que trompèrent parfois néanmoins ceux qu’il chargeait de certaines recherches. Il a cultivé presque toutes les branches de la littérature : on cite en effet de lui des discours, des poésies, des lettres et des dialogues. Peu arrêté dans ses doctrines philosophiques, du reste il excelle dans la censure des vices, il offre une multitude de pensées remarquables, beaucoup de choses à lire pour le profit des mœurs ; mais sa façon de dire, en général peu saine, est d’un exemple d’autant plus dangereux qu’elle abonde en défauts séduisants. On voudrait qu’il eût écrit avec son génie, guidé par le goût d’un autre ; car s’il eût dédaigné certains ornements ou s’il les eût un peu moins recherchés, s’il n’eut pas été amoureux de tout ce qui tombait de sa plume, s’il n’eût pas rapetissé par les plus futiles pensées l’importance des sujets, le suffrage de tous les gens éclairés, plutôt que l’engouement de la jeunesse, lui serait acquis. Tel qu’il est pourtant, des esprits déjà sûrs et qu’un genre plus sévère a suffisamment affermis le doivent lire, par cela même qu’il peut doublement exercer le goût : car il y a chez lui, je le répète, beaucoup à louer, beaucoup même à admirer ; il ne faut qu’avoir soin de choisir, et plût aux dieux qu’il l’eût fait lui-même ! Elle méritait de vouloir mieux faire, cette riche nature qui a fait tout ce qu’elle a voulu[1]. »

    vrages qui nous restent de lui, à côté de grands éloges et sauf quelques traits fort ménagés où il relève, comme on l’a pu faire de tout temps, certaines redondances cicéroniennes, on ne peut voir en Sénèque le détracteur d’aucun écrivain du grand siècle. Ovide seul est l’objet de sa censure méritée. Toutes ses critiques littéraires ne sont pas moins judicieuses que celles de Quintilien lui-même.

  1. Quintilien, Instit. Orat. X, II. Texte latin de Lemaire.