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OU DE LA RETRAITE DU SAGE.


la sphère mobile, elle a voulu qu’il portât la tête haute et placée sur un cou flexible. Puis elle a produit sur la scène six de ses signes pour le jour et les six autres pour la nuit : elle a étalé tous ses charmes visibles, et par ce qu’elle offrait à ses regards lui a inspiré un vif désir de connaître le reste. Nous ne pouvons ni tout voir ni saisir toute l’étendue de ce que nous voyons ; mais notre regard, à force d’investigations, s’ouvre la voie et jette les fondements du vrai ; ce qu’il découvre le met sur la trace de ce qui demeure obscur, et il arrive à un principe antérieur au monde même.

D’où ces astres sont-ils sortis ? Quel fut l’état de l’univers avant que ses éléments se distribuassent en parties distinctes ? Quelle intelligence débrouilla l’informe chaos ? qui assigna sa place à chaque chose ? Est-ce d’eux-mêmes et par leur nature que les corps pesants sont descendus, que les corps légers ont pris leur essor ; ou plutôt, indépendamment des poids et des tendances, est-ce une force supérieure qui a réglé leurs lois respectives ? Est-il vrai, et ce serait la grande preuve que l’homme émane du souffle divin, est-il vrai qu’une particule et comme des étincelles du feu céleste, tombées ici-bas, se sont fixées sur une argile qui leur était étrangère ?

La pensée de l’homme force jusqu’aux remparts du ciel ; c’est peu pour elle de connaître les choses visibles : je veux savoir, se dit-elle, ce qui existe au delà des cieux, si c’est un espace sans fond, ou une nouvelle enceinte qui a ses limites, quelles substances s’y trouvent et sous quel aspect. Sont-elles informes, confuses, occupant dans toutes leurs dimensions le même espace ; ont-elles aussi leurs beautés quelconques et leur classement ? Sont-elles liées à notre système ou reculées au loin et roulant dans le vide ? Est-ce d’atomes indivisibles que procède tout ce qui est né et tout ce qui sera, ou la matière des corps est-elle continue et muable dans son entier ? Les éléments luttent-ils entre eux, ou loin d’être une guerre, leur action diverse ne concourt-elle pas à un but unique ? Juge combien l’homme, né pour ces recherches, a reçu peu de temps en partage, se le réservât-il même tout entier ; n’en laissât-il rien ravir par trop de facilité, rien échapper par négligence, et, rigoureusement avare de ses heures, parvînt-il au terme de la plus longue vie humaine, sans que rien de ce qu’a fait pour lui la nature fût bouleversé par la Fortune, toujours est-il que pour atteindre aux immortels secrets l’homme est trop voisin de la mort.