Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.
XV
ET LES ÉCRITS DE SÉNÈQUE.


grande qu’elle paraisse ajouta-t-il, que d’hommes, fort au-dessous de ton mérite, ont possédé davantage ! J’ai honte de citer des affranchis qui étalent une tout autre opulence. »

Ainsi retenu malgré lui, Sénèque supprima le train de sa maison, écarta la foule des visiteurs et changea les habitudes d’une faveur qui n’était plus. Cependant il se mêlait encore de l’administration et voyait quelquefois l’empereur ; il le félicita un jour de s’être réconcilié avec le vertueux Thraséas, « franchise qui augmentait tout ensemble la gloire et les périls de ces deux grands hommes. » (Annal., XV, XVIII.) « Quelques historiens rapportent que du poison fut préparé pour Sénèque par un de ses affranchis nommé Cléonious, sur l’ordre de Néron, et que le philosophe échappa soit par la révélation de l’affranchi, soit par défiance et grâce à la simplicité de sa nourriture : car il vivait de fruits sauvages et se désaltérait avec de l’eau courante (Annal., XV, XLV.)

La conspiration de Pison devint le prétexte qui perdit Sénèque, « non que rien prouvât qu’il eût eu part au complot ; mais Néron voulait achever par le fer ce qu’il avait en vain tenté par le poison. » Tacite poursuit en ces termes : « Le prince demanda si Sénèque se disposait à quitter la vie. Le tribun assura qu’il n’avait remarqué en lui aucun signe de frayeur, qu’aucune tristesse n’avait paru dans ses discours ni sur son visage. Il reçoit l’ordre de retourner et de lui signifier qu’il fallait mourir… Sénèque, sans se troubler, demande son testament. Sur le refus du centurion, il se tourne vers ses amis, et déclare que, puisqu’on l’empêche de reconnaître leurs services, il leur laisse le seul bien, mais le plus précieux qui lui reste, l’image de sa vie ; que, s’ils gardent le souvenir de ce qu’elle eut d’estimable, cette fidélité à l’amitié leur serait un titre de gloire. Ses amis pleuraient ; lui, par un langage tantôt familier, tantôt vigoureux et sévère, les rappelle à la fermeté, leur demandant ce qu’ils avaient fait des préceptes de la sagesse ; où était cette raison qui se prémunissait depuis tant d’années contre les coups du