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CONSOLATION A HELVIA.

nimé, moins soucieuse d’échapper elle-même que de trouver où l’inhumer. Montrez un courage digne du sien ; que votre âme s’arrache à son deuil ; gardez que l’on ne croie que vous vous repentiez d’avoir été mère.

Au reste, comme il faut bien, quoi que vous fassiez, que vos pensées reviennent de temps en temps vers moi, et que mon souvenir se représente à vous plus fréquent que celui de vos autres enfants, non qu’ils vous soient moins chers, mais parce qu’il est naturel de porter plus souvent la main là où nous sentons la souffrance, voici l’idée que vous devez vous faire de moi. Mon esprit est libre et serein comme aux plus heureux jours ; et en est-il de plus heureux que ceux où l’âme, quitte de toute autre pensée et livrée aux travaux qu’elle aime, tantôt goûte le charme délassant des beaux-arts, tantôt s’élève à la contemplation d’elle-même et de l’univers, passionnée qu’elle est pour la vérité ? Elle étudie la terre d’abord et sa position, puis se demande ce qu’est cette mer, qui enceint notre globe, et d’où vient l’alternance de ses flux et reflux ; elle saisit le secret des effrayantes scènes qui remplissent l’intervalle des cieux à la terre ; elle visite l’orageux espace où grondent et jaillissent les foudres, où se déchaînent les vents, et d’où tombent les pluies, les neiges, les tourbillons de grêle ; puis, ces régions inférieures parcourues, elle s’élance au plus haut des cieux, et jouit du magnifique spectacle des choses divines ; elle se souvient qu’elle est immortelle, elle embrasse dans sa course tout le passé et tous les siècles à venir.