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CONSOLATION A HELVIA.

qui lui cracna au visage, affront d’autant plus propre à l’indigner qu’il savait bien qu’une bouche impure pouvait seule se le permettre. Il se contenta de s’essuyer, et dit en souriant au magistrat qui l’accompagnait : « Avertissez cet homme de bâiller désormais avec plus de décence. » C’était faire affront à l’affront lui-même. Je sais qu’au dire de quelques-uns, rien n’est plus accablant que le mépris : ils choisiraient plutôt la mort. Je leur répondrai que l’exil est souvent à couvert de tout mépris. Le grand homme qui tombe reste grand même couché par terre ; il n’est pas, croyez-le, plus méprisé que ces temples dont les ruines sont foulées aux pieds, mais que révèrent les âmes religieuses comme s’ils étaient encore debout15. »

XIV. Puisque mon sort n’a rien, ô mère bien-aimée, qui doive éterniser vos larmes, je ne vois plus que des raisons à vous personnelles qui puissent les provoquer. Ces raisons se réduisent à deux : ou vous souffrez de cette idée qu’un appui vous manque, ou les regrets de l’absence vous sont intolérables. Je ne dois qu’effleurer le premier point : car votre cœur m’est connu ; rien ne vous est cher en nous tous que nous-mêmes. Que d’autres mères abusent, dans leur despotisme de femmes, de la puissance de leurs fils ; que, trouvant l’accès des honneurs fermé à leur sexe, leur ambition s’exerce au nom de ces fils dont elles dissipent les biens, dont elles briguent même l’héritage, dont elles fatiguent l’éloquence en la prêtant à ceux qu’elles protègent ; Helvia, au contraire, vivement réjouie de la fortune de ses enfants, n’en usa que bien peu ; elle mit toujours des bornes à notre libéralité, quand elle n’en mettait point aux siennes ; sous la tutelle même de son père, à des fils déjà riches elle a voulu donner encore ; elle a géré nos patrimoines avec les soins qu’on met au sien propre et le désintéressement qu’exige celui d’autrui ; elle a ménagé notre crédit comme s’il n’était pas aussi le sien ; il ne lui est revenu de nos honneurs qu’une joie pure et des sacrifices ; jamais sa tendresse n’a regardé à son intérêt. Pourriez-vous donc, après l’exil de votre fils, regretter ce qu’auparavant vous n’avez jamais compté comme à vous ?

XV. Aussi tous mes efforts doivent-ils se tourner vers la source même de votre affliction maternelle : « Je suis privée des embrassements d’un fils chéri ; je ne jouis plus de sa présence, de sa conversation. Où est-il celui dont la vue éclaircissait la tristesse de mon front ; dans le sein duquel je déposais tous mes soucis ? Où sont ces entretiens dont je ne me pou-