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CONSOLATION A HELVIA.

nemis. Ce qu’il y a de meilleur en l’homme est placé hors du pouvoir humain, et ne se donne pas plus qu’il ne s’enlève. Ce monde, le plus grand, le plus magnifique ouvrage de la nature, cette âme faite pour contempler et pour admirer l’univers dont elle est la plus noble partie, voilà qui nous est propre et permanent, voilà qui doit nous demeurer autant que nous demeurerons nous-mêmes. Marchons donc gaiement, la tête haute, d’un pas agile et intrépide, partout où le sort nous mènera.

IX. Que l’on parcoure telle région qu’on voudra, on n’en trouvera aucune qui ne soit pas faite pour l’homme. De partout également ses regards découvrent le ciel ; partout le domaine des dieux est à même distance du domaine des mortels6. Pourvu donc que ce spectacle dont mes yeux sont insatiables ne me soit pas ravi ; pourvu que je puisse contempler la lune et le soleil, suivre de l’œil les autres astres, leur lever, leur coucher, leurs distances, rechercher les causes de leur marche tantôt plus rapide et tantôt plus lente, observer au sein de la nuit ces millions de points lumineux dont les uns demeurent fixes, et les autres, sans fournir un long cours, roulent toujours dans le même orbite ; ceux-ci jaillissant tout à coup, ceux-là qui avec une traînée de flamme éblouissante semblent tomber du ciel ou dont les longs sillons de lumière vont traversant l’espace ; pourvu que j’habite au centre de ces merveilles, initié aux immortels secrets autant qu’un homme peut l’être, et que mon âme, sœur de ces merveilles qu’elle aspire à contempler, ne descende pas de sa sublime sphère, que m’importe quelle boue foulent mes pieds ?

« Mais cette terre où je suis n’abonde ni en arbres à fruits ni en ombrages riants ; point de fleuves larges et navigables qui l’arrosent ; l’étranger ne demande aucun de ses produits qui suffisent à peine à la nourriture de ses habitants ; on n’y taille point de marbres précieux, on n’y exploite pas de filons d’or ou d’argent. » Qu'elle est étroite, l’âme qui fait sa joie des choses de la terre ! Reportons-nous vers ce monde supérieur qui partout se montre le même, partout brille du même éclat, et songeons que ces vils objets, sources d’erreurs et de préjugés, font seuls obstacle au vrai bonheur. En prolongeant ces portiques, en surélevant ces tours déjà si hautes, en agrandissant ces vastes quartiers, en augmentant la profondeur de ces grottes d’été, en couronnant de faîtes toujours plus massifs ces salles à manger, que fait-on, que se dérober de plus en plus la vue du ciel ? « Mais aux lieux où le sort m’a jeté, mon abri