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Toi qui ne fus puissant que pour sauver autrui,
Qui sers à mon naufrage et de port et d’abri ;
Dont l’amitié m’honore, et dont l’heureuse égide
Dans mon affliction me rassure et me guide ;
D’un ami trop paisible intrépide vengeur,
Oui, du miel le plus pur ton âme a la douceur ;
D’un grand aïeul, d’un père ô la plus belle gloire !
Seul regret du banni, seul cher à sa mémoire,
Ton cœur, quand sur ces rocs je languis loin de toi,
Dis, dans son libre essor vole-t-il jusqu’à moi ?


VIII. Puissance du temps.

Il n’est rien qu’il ne ronge, il n’est rien qu’il n’outrage ;
Il veut que rien ne dure : et tout passe et périt.
L’Océan laisse à nu son antique rivage,
Le mont altier s’écroule et le fleuve tarit.
Eh ! que dis-je ? des dieux l’éclatante demeure
Doit s’embraser aux feux des astres confondus.
Est-ce un châtiment ? Non, c’est la loi que tout meure :
Et le monde et les cieux un jour ne seront plus.


IX. Un vœu.

Puissiez-vous me survivre, ô frères que j’adore !
Et n’avoir à pleurer de moi que mon trépas !
Rivalisons d’amour : ici la lutte honore ;
Vaincre ou céder est noble en ces heureux combats.
Que Marcus5, doux enfant, voix bégayante encore,
Provoque un jour la vôtre à d’éloquents débats !

X. À la ville de Cordoue.

Prends le deuil, ô Cordoue ! étale tes douleurs :
Ma cendre attend ici le tribut de tes pleurs,
Car il meurt loin de toi ton bien-aimé poète.
Ah ! gémis comme aux jours où sur tes seuls remparts
Rome et le monde entier fondaient de toutes parts,
 Où de terreur longtemps muette,
Et d’un double fléau subissant tout le poids,
Sous Pompée et César tu périssais deux fois.
Sois comme au temps néfaste où devant tes yeux même,
Dans une nuit, qui fut pour toi la nuit suprême,
 Succombaient trois cents de tes fils ;