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IV. Autre plainte.

Cruel !… (dois-je nommer ? la douleur fait tout dire) ;
Toi qui foules encor ma cendre en ennemi,
Que ma chute n'a pu contenter qu'à demi,
Acharné sur un mort, ton poignard le déchire.
Crois-moi : contre quiconque ose les outrager
Les mânes ont des droits ; et des traits de l'envie
Une ombre en son tombeau sait encor se venger.
Entends les dieux, entends mon spectre qui te crie :
« Le malheur est sacré3 ! Respecte mes destins ;
La tombe a repoussé de sacrilèges mains. »


V. Autre.

Dans tes vers quel venin, quels sarcasmes amers !
Et ton âme est encor plus noire que tes vers.
Hommes, femmes, enfants, tout ressent ta morsure,
Tout, même le vieillard, que respecte l'injure ;
De tes traits au hasard le public est percé :
Tel, lançant des cailloux, s'agite l'insensé.
Mais la foule, plus sage, aussitôt se rallie :
On te fait, coup pour coup, payer cher ta folie,
Et la muse publique à ta rage répond,
Et plus d'un vers brûlant stigmatise ton front.

VI. Autre.

Quand je ne puis, à peine en garde et raffermi,
Soldat veuf de ma lance[1], accueillir l'ennemi,
Toi, beau diseur, armé de griefs homicides,
De noirs poisons, tu ris, de mon sort tu décides.
« Mais à table ? Par jeu ? » Qu'importe, si mes pleurs
Coulent, si mon mal vient de tes ris délateurs ?
Que ton jeu cesse ; il n'est plus jeu dès qu'il déchire :
Bon mot qui peut tuer ne fait jamais sourire.


VII. À un ami.

Crispus, mon ferme appui, l'ancre de ma détresse4,
Toi dont l'ancien forum eût vanté la sagesse.

  1. Je lis avec J. Lipse: et e… manu est. Lemaire: it e… manu.